Film français de Maxime Govare et Romain Choay (2024), avec Audrey Lamy, Fabrice Éboué, Anouk Grinberg, Pauline Clément, Louise Coldefy, Sami Outalbali, Victor Meutelet, Diessy Diess, Esteban Hernandez-Sanchez… 1h43. Sortie le 13 mars 2024.
Les revers de la fortune
On ne compte plus les films dont le scénario tourne autour d’un billet de loto, d’un ticket de tiercé ou d’un heureux tirage à une quelconque loterie. Le schéma a nourri l’imagination de bon nombre d’auteurs de comédie, du Million (1931) de René Clair à Antoine et Antoinette (1947) de Jacques Becker ou plus récemment Ah ! Si j’étais riche (2002) de Gérard Bitton et Manuel Munz ou Les Tuche (2011) et ses suites d’Olivier Baroux. En s’attaquant à leur tour à ce thème propice à tous les fantasmes, les auteurs à succès des Crevettes Pailletées ont choisi de montrer le revers de la médaille. Là où leurs prédécesseurs faisaient briller les yeux de leurs protagonistes sous l’effet d’une fortune providentielle, les joyeux duettistes n’en dépeignent que les inconvénients voire les conséquences les plus désastreuses. Tout commence par une famille qui, sur la route des vacances, apprend qu’elle a coché les bons numéros. Reste que pour toucher le gros lot, encore faut-il pouvoir faire valider à temps le ticket gagnant. Et c’est là que s’engage une course folle pour se manifester dans le délai imparti. Quitte à prendre tous les risques pour changer de vie… Mais il ne s’agit là que du premier des quatre sketches de cette comédie noire qui fait rire franchement jaune et manipule le mauvais goût sans jamais chercher à prendre des gants. Avec ce fil rouge selon lequel la fortune est de nature à changer n’importe quelle vie, mais aussi d’attiser les pulsions les plus inavouables, qu’il s’agisse de la conviction chancelante d’un terroriste islamiste, d’une femme à la recherche du prince charmant ou d’un groupe de collègues qui vont se découvrir une soudaine vocation collective de rapaces prêts à tout.
Jeu de massacre
Deux références viennent immédiatement à l’esprit en découvrant Heureux gagnants : le film argentin de Damián Szifron Les nouveaux sauvages (), lui-même se réclamant de certaines comédies italiennes de l’âge d’or qui ont poussé l’art du cinéma à sketches à son apogée, souvent sous l’égide des scénaristes Age et Scarpelli. Maxime Govare et Romain Choay choisissent à dessein de se limiter à cinq histoires qui constituent autant de variations autour d’un thème particulièrement fertile pour l’imagination. Comme de coutume, certains sont plus réussis que d’autres, l’ensemble se caractérisant par une férocité qui tranche avec le tout-venant de la comédie française. Personne n’est vraiment épargné par cette anthologie des bas instincts dont le profit est la motivation la mieux partagée. À l’instar de l’attitude de ces “braves gens” confrontés au spectacle ordinaire de la déchéance liée au grand âge qui, loin de se contenter de jouir paisiblement de leur bien mal acquis, entreprennent de s’éliminer les uns les autres pour l’accroître dans une spirale de barbarie absurde. On tombe là dans la pure comédie de meurtres, une spécialité britannique qui a maintes fois fait ses preuves depuis le génial Noblesse oblige (1949) de Robert Hamer. Sans chercher de comparaison oiseuse, Heureux gagnants tire des ressources insoupçonnées de son point de départ en variant les plaisirs et en abordant des registres multiples avec une imagination décomplexée. C’est ce qui confère à ce film une saveur atypique, dont témoignait le trop méconnu Barbaque de Fabrice Éboué, qu’on retrouve ici comme interprète, et lui évite de ronronner en se contentant de tirer des ficelles trop voyantes. Avec en prime des interprètes inspirés dont une impayable Anouk Grinberg à contre-emploi en employée d’Ehpad saisie par le lucre. Âmes sensibles s’abstenir !
Jean-Philippe Guerand
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