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“Ferrari” de Michael Mann



Film américain de Michael Mann (2023), avec Adam Driver, Shailene Woodley, Sarah Gadon, Jack O’Connell, Penélope Cruz, Patrick Dempsey, Gabriel Leone, Massi Furlan, Valentina Bellè, Tommaso Basili, Brett Smrz, Lino Musella, Andrea Dolente, Andrea Bruschi… 2h10. Mise en ligne sur Amazon Prime le 3 mars 2024.



Penélope Cruz



En quatrième vitesse


Avant de devenir un constructeur mythique, Enzo Ferrari a été un champion automobile de renom qui a surfé sur le boom économique de l’Après-Guerre pour parfaire sa légende. En s’attaquant à ce biopic auquel aucun réalisateur italien n’avait osé se frotter jusqu’alors, mais qui a sans doute bénéficié du regain de notoriété qu’a valu à la firme au cheval cabré le film de James Mangold Le Mans ’66 (2019), intitulé en v.o.… Ford v Ferrari, Michael Mann a décidé de sacrifier au denier du culte pour tous les passionnés de course automobile et de champions de légende. Ironie du sort, c’est à un acteur au patronyme prédestiné, Adam Driver, qu’il a confié le soin d’immortaliser le constructeur italien qui a érigé la couleur rouge en synonyme de rapidité et d’élégance. Ferrari est l’évocation d’une époque révolue où la compétition automobile était l’enjeu de véritables joutes de chevalerie auxquelles participaient des capitaines d’industrie soucieux de défendre leur honneur sur la piste. Ce n’est qu’ensuite que ce sport d’élite est devenu un enjeu économique majeur. En reconstituant l’Italie des années 50, Mann a aussi tenu à souligner ce que représentait pour un pays cicatrisant du fascisme ces défis pétaradants qui ont contribué au véritable avènement de l’industrie automobile. Contrairement à bon nombre de biopics, celui-ci ne cherche jamais à rendre son héros plus sympathique qu’il ne l’était. Il dépeint au contraire un fauve marnoréen mais impitoyable qui ne supporte pas que ses collaborateurs, ses employés et même ses concurrents ne possèdent pas sa rage de vaincre.



Adam Driver



Adam Driver en statue du “Commendatore”


Michael Mann se concentre sur une décennie cruciale au sein de la destinée du “Commendatore” dont l’épicentre est l’ultime course d’endurance des Mille Milles disputée en 1957. Une compétition rivale des 24 heures du Mans organisée sur des routes habituellement dévolues à la circulation. Avec les risques que cela impliquait pour les spectateurs massés sur les bas-côtés sans mesures particulières de sécurité. Le constructeur automobile plus à l’aise pour gérer son écurie que ses deux familles longtemps étrangères l’une à l’autre, avec pour figures de proue les mères sacrifiées que personnifient Penélope Cruz et Shailene Woodley. Avec entre elles et lui le spectre d’un enfant disparu et la reconnaissance d’un fils caché. Ce projet longuement mûri offre à Adam Driver l’occasion d’incarner un capitaine d’industrie italien dans la lignée du rôle-titre de House of Gucci de Ridley Scott, pour lequel il a sacrifié sa célèbre tignasse teinte en blanc afin de coller physiquement à la légende. Le scénario n’épargne jamais vraiment le Deus es machina de la Scuderia Ferrari décrit sans états d’âme et concentré tout entier sur sa soif de victoire, quitte à se comporter en patron inflexible et à ruminer des rancœurs de longue haleine, à l’instar des rapports orageux qu’il entretient avec le tout-puissant patron de Fiat, sous prétexte qu’Agnelli lui aurait refusé un service… quarante ans plus tôt ! Tout l’intérêt de cette reconstitution réside en outre sur le fait qu’elle se déroule à une époque de l’histoire de la compétition automobile peu ou pas représentée à l’écran jusqu’alors et s’attarde sur sa dimension industrielle et ses retombées économiques. Enzo Ferrari est certes un visionnaire, mais aussi un redoutable homme d’affaires dont l’ultime coquetterie consiste à rouler dans une Peugeot 403 digne de Columbo plutôt qu’à bord d’un modèle tapageur. C’est tout le paradoxe de ce personnage iconique pas vraiment ménagé auquel un scénariste amoureux de vitesse aujourd’hui décédé, le Britannique Troy Kennedy Martin (L’or se barre)a consacré ses ultimes efforts en s’inspirant d’un livre de son confrère américain Brock Yates (L’équipée du Cannonball). Sans jamais confondre vitesse et précipitation.

Jean-Philippe Guerand








Adam Driver

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