Film français de Guillaume Nicloux (2024), avec Blanche Gardin, Michel Houellebecq, Luc Schwarz, Franck Monier, Françoise Lebrun, Gaspar Noé, Jean-Pascal Zadi, Francky Vincent, Majid Mounsif, Albert Narayaninsamy, Nathaly Coualy, Rio Marie-Magdelaine, Céline Loco… 1h28. Sortie le 13 mars 2024.
Michel Houellebecq et Blanche Gardin
Prince sans rire
Michel Houellebecq fait partie des figures les plus pittoresques de notre paysage littéraire. Auteur consacré parfois comme un prophète pour ses tableaux au vitriol de la société française contemporaine et controversé en raison de ses prises de position parfois radicales et de sa personnalité affectée par des abus personnels de substances parfois illicites. L’écrivain est par ailleurs devenu l’interprète de plusieurs films, des fictions sur mesure du tandem Kervern-Delépine (Saint Amour et Effacer l’historique) et des comédies délirantes de Guillaume Nicloux dans lesquelles il tient son propre rôle, à la lisière du documentaire et de la comédie de mœurs. Après L’enlèvement de Michel Houellebecq (2014), Near Death Experience et Thalasso (2019), les deux compères ajoutent un nouveau chapitre à ce qui peut désormais être considéré comme un cycle autofictionnel où toute ressemblance avec des éléments de la vie réelle est au moins aussi délibérée que fortuite. L’écrivain se retrouve embarqué cette fois dans un improbable séjour en Guadeloupe où il doit assister à un concours de sosies à son image dont le jury est présidé par Blanche Gardin. Une rencontre moins explosive que pétillante de malice sur un scénario qui accorde la part belle à la spontanéité et à l’improvisation. Non seulement les univers de ces deux acteurs s’accordent à merveille, mais ils sont par ailleurs entourés de personnages pittoresques qui poussent leur contribution vers le pur délire, à l’instar du garde du corps brut de décoffrage que campe Luc Schwarz, un colosse qui n’aurait pas détonné dans l’atmosphère de certaines comédies de Georges Lautner.
Vis comica
Cinéaste insaisissable, Guillaume Nicloux applique un traitement spécifique aux films qu’il bâtit autour de la personnalité de Houellebecq. D’abord parce qu’il le connaît de mieux en mieux et sait jusqu’où il peut l’entraîner. Ensuite parce qu’à partir d’un argument généralement réduit à sa plus simple expression, il laisse suffisamment d’espace à l’écrivain pour se sentir parfaitement à son aise, tout en cultivant une confusion assumée entre la réalité et la fiction. Il suffit de voir défiler les candidats fantasques du fameux concours de sosies pour mesurer le délire qui baigne ce film. Confronté à des gens qui ne lui ressemblent souvent qu’à un vague détail, l’écrivain ne peut cacher sa perplexité et excelle alors sur son registre de prédilection : le stoïcisme pince sans rire. Il devient alors irrésistible et Nicloux en tire le meilleur profit en guettant ses réactions face à une situation totalement absurde. Il n’est pourtant question ici ni de composition étudiée ni même de direction d’acteurs à proprement parler, mais d’un sens de l’observation qui permet au metteur en scène d’exploiter au mieux chaque séquence en s’appuyant sur la nature de ce personnage aussi pittoresque que fantasque, tellement libre d’esprit qu’il ne semble jamais rien calculer ni préméditer. Le regard de Nicloux reste toutefois bienveillant et l’observe avec une certaine tendresse sans jamais esquisser la moindre moquerie. C’est précisément cette absence totale de cynisme qui caractérise l’humour ravageur et décomplexé de cette tranche de vie. Avec en prime des apparitions désopilantes dans leurs propres rôles de Gaspar Noé, Jean-Pascal Zadi et même Francky Vincent. Autant de happenings savoureux dans un film qui pratique à merveille l’art de la déroute et a le bon goût de ne jamais se prendre au sérieux.
Jean-Philippe Guerand
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