Ayeh haye zamini Film iranien d’Ali Asgari et Alireza Khatami (2023), avec Bahman Ark, Arghavan Shabani, Servin Zabetiyan, Majid Salehi, Sadaf Asgari, Gohar Kheirandish, Farzin Mohades, Hossein Soleimani, Faezeh Rad… 1h17. Sortie le 13 mars 2024.
L’union fait la force
N’importe quelle manifestation artistique en provenance d’Iran revêt aujourd’hui une ampleur particulière. On connaît le sort réservé par le régime des Mollahs à ses plus grands cinéastes : de ceux réduits au silence, condamnés ou emprisonnés comme Mohammed Rasoulof, Jafar Panahi ou Saeed Roustaee au glorieux aîné Dariush Mehrjui victime d’un prétendu crime crapuleux. C’est donc avec beaucoup d’intérêt qu’on a découvert à Cannes le fruit de l’association de deux représentants de la nouvelle génération, Ali Asgari et Alireza Khatami. Un film à sketches qui illustre diverses situations de la vie quotidienne d’un peuple confronté à la fois à une administration au fonctionnement kafaïen et à des règles se réclamant d’impératifs religieux à géométrie variable. Le tout sous la surveillance rapprochée et omniprésente des gardiens de la révolution, police politique chargée de réguler les mœurs et de prévenir toute rébellion, aussi intime soit-elle. C’est dire combien il a fallu de ruses et de stratagèmes aux réalisateurs pour tourner clandestinement sept jours durant ces chroniques dont l’assemblage reflète sans doute avec une grande justesse le monde absurde jusqu’au tragique dans lequel évoluent les Iraniens.
Scènes de la vie quotidienne
Un homme déclare la naissance de son fils. Une mère habille sa fille pour la rentrée. Une élève est convoquée par la directrice. Une jeune femme conteste une contravention. Une jeune fille se présente à un entretien d’embauche. Un jeune homme vient retirer son permis de conduire. Un homme au chômage répond à une annonce. Un réalisateur demande une autorisation de tournage. Une femme cherche à retrouver son chien. Neuf situations quotidiennes dont la banalité est l’occasion pour les réalisateurs de pointer les dysfonctionnements d’une société où tout le monde a peur. Des confrontations dont l’un des protagonistes (représenté par la caméra et incarnant le pouvoir) est systématiquement occulté sur le plan visuel. Comme pour mieux nous confronter à ses interlocuteurs aux prises avec les tracasseries que leur inflige un pouvoir assigné ici au statut d’un Big Brother sans visage. La critique est certes absurde, mais elle passe à la fois par un humour corrosif qui évoque certaines comédies de l’âge d’or italien, tout en prenant sa source dans des situations prosaïques. Le titre original, Terrestrial Verses (Versets terrestres), est évidemment une allusion directe à celui du livre de Salman Rushdie Les versets sataniques qui a valu à l’écrivain une fatwa de la part de l’ayatollah Khomeini. Reste que ce film à sketches est l’un des rares signes de vie récents du cinéma iranien dont les principaux artisans ont été réduits au silence, qu’ils soient emprisonnés ou assignés à résidence et frappés d’une interdiction de tourner.
Jean-Philippe Guerand
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