Film d’animation japonais d’Yuzuru Tachikawa (2023), avec (voix) Dai Miyamoto, Yûki Yamada, Yukinori Sawabe, Shôtaro Mamiya, Shunji Tamada, Amane Okayama… 2h. Sortie le 6 mars 2024.
Quand la musique est bonne…
Il apparaît parfois des coïncidences troublantes dans le feu de l’actualité. Cinq semaines tout juste après They Shoot the Piano Player, le film d’animation consacré par Fernando Trueba et Javier Mariscal au virtuose brésilien du jazz et de la bossa nova porté disparu en Argentine, Tenório Jr., c’est cette fois un anime qui retrace la carrière d’un autre musicien de jazz. Blue Giant est un hommage superbe à un homme qui vit pour sa passion, avec un objectif ultime : être admis à jouer sur la scène du club de jazz le plus célèbre du Japon. Un itinéraire évidemment cahotique qui passe par des désillusions déchirantes et des déconvenues imprévues. Ce faux biopic d’un personnage imaginaire mais nourri d’éléments puisés chez d’autres artistes recycle tous les clichés du genre pour mieux les transcender. Au point de devenir peu à peu une sorte de matrice d’un genre dont il épuise toutes les ressources sur le plan visuel. Son héros, Dai Miyamoto, est un pur autodidacte qui doit à sa hargne et à sa ténacité d’être devenu un virtuose du saxophone, tandis que son ami d’enfance opte quant à lui pour la batterie, autant par goût que par camaraderie. Jusqu’au moment où les deux compères parviennent à convaincre un pianiste talentueux de les rejoindre afin de former un trio. À travers cette construction classique qui a donné lieu à tant de films sur le jazz, de La ballade des sans-espoirs (1961) de John Cassavetes à Autour de minuit (1986) de Bertrand Tavernier en passant par Paris Blues (1961) de Martin Ritt et Bird (1988) de Clint Eastwood, Yuzuru Tachikawa accorde la primauté à la passion. Il réussit à la traduire en images en exploitant à merveille les moindres ressources de l’animation, à commencer par cette fameuse couleur bleue qu’on associe volontiers au jazz et dont il tire des ressources d’une réelle inventivité.
Le bleu est la plus chaude des couleurs
Blue Giant est l’adaptation du manga homonyme de Shinichi Ishizuka publié au Japon en 2013 et en France cinq ans plus tard chez Glénat sous la forme de trois séries distinctes. La particularité du film qu’en a tiré Yuzuru Tachikawa est d’avoir accordé à la composante musicale une attention à la fois constante et extrême. La bande originale en a été confiée à la pianiste Hiromi Uehara, lauréate d’un Grammy Award, qui interprète elle-même les morceaux faisant intervenir son instrument, tandis que les performances instrumentales du personnage principal sont doublées musicalement par le saxophoniste ténor Tomoaki Baba et celles du batteur débutant par un orfèvre en la matière, Shun Ishiwaka. Suprême coquetterie, ces deux musiciens qui s’étaient croisés enfants dans le Big Band de leur école se sont évertués à rendre leur jeu moins abouti qu’il ne l’est dans la réalité pour coller à la vraisemblance. À l’écran, ce sens du perfectionnisme réussit l’impossible : mettre en musique une histoire qui n’existait jusqu’alors que sous une forme graphique, même si son pouvoir de suggestion s’avérait déjà hors du commun. La mise en scène réussit à fusionner les images et la bande son comme rarement, en laissant aux scènes de concert le soin d’exister dans la durée pour en atteindre l’extase que vivent les musiciens. C’est ce qu’il avait de plus périlleux sur le papier et ce qui donne son caractère hors du commun à ce film à vivre comme une authentique expérience sensorielle dont le scénario n’est qu’un prétexte à plusieurs moments de transe galvanisés par les ressources techniques et esthétiques de l’animation. Après tout, comme le disait le titre anglophone de La vie d’Adèle, le bleu est la plus chaude des couleurs…
Jean-Philippe Guerand
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