Accéder au contenu principal

“Universal Theory” de Timm Kröger



Die Theorie von Allem Film germano-austro-suisse de Timm Kröger (2023), avec Jan Bülow, Olivia Ross, Hanns Zischler, Gottfried Breitfuss, Philippe Graber, David Bennent, Ladina von Frisching, Imogen Kogge, Dirk Böhling, Peter Hottinger, Joey Zimmermann, Eva Maria Jost… 1h58. Sortie le 21 février 2024.



Philippe Graber et David Bennent


L’ivresse des cimes


Un écrivain invité dans une émission de télévision révèle que son livre n’est pas un roman mais le récit d’événements qu’il a lui-même vécus en 1962, au cours d’un congrès de physique organisé dans un hôtel des Alpes suisses où il accompagnait son éminent tuteur. Avant de quitter brusquement le plateau, il interpelle une certaine Karin à qui il demande de se manifester pour accréditer ses dires. Prologue en couleur d’un film en noir et blanc qui évoque l’existence de mondes parallèles accessibles par des tunnels dans lesquels des scientifiques se réunissent pour assister à des phénomènes irrationnels, tandis qu’à l’extérieur la colère gronde et un enfant disparaît. Universal Theory fait partie de ces films sous influences qui creusent leur propre sillon et requièrent de la part du spectateur une bonne dose d’imagination. Le réalisateur Timm Kröger y puise aux sources mêmes du cinéma allemand sinon à celles des légendes germaniques. Le cadre géographique est en soi une invitation au rêve, avec cet hôtel monumental édifié en altitude qui évoque le sanatorium de La montagne magique et ces cimes enneigées qui servirent de cadre dans les années 30 à des romances à succès dont l’une des jeunes premières les plus en vue fut Leni Riefenstahl avant de devenir la propagandiste en chef du Troisième Reich. Il faut dire que le décor est ici l’une des composantes principales de cette ténébreuse affaire d’apprentis sorciers en âge d’être d’anciens dignitaires nazis rassemblés sous un prétexte scientifique qui dissimule en fait un incroyable secret permettant de communiquer avec l’Au-Delà.



Gottfried Breitfuss, Jan Bülow et Hanns Zischler


Au-delà des rêves…


La seconde référence majeure d’Universal Theory est concomitante à la première. Elle renvoie à l’expressionnisme allemand, qu’il s’agisse des premiers opus de Fritz Lang avec leurs savants fous et leur flirt poussé avec l’irrationnel, ou du Nosferatu le vampire de Friedrich Wilhelm Murnau dont un carton nous avertit que “ quand il eut dépassé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre ”, ce qui constitue par extension une invitation à pénétrer dans une autre dimension. Jusqu’aux mines patibulaires des personnages, à leurs vestes de cuir et à leur détermination à protéger leurs recherches aux yeux du monde. Timm Kröger utilise avec virtuosité ces multiples composantes pour en tirer un film qui cultive sa singularité avec une jubilation communicative. Avec en prime la présence obsédante d’une femme fatale dont la personnalité s’avèrera emblématique de la tragique histoire de la première moitié du vingtième siècle. Comme si l’anti-héros si fragile de ce voyage sans retour était condamné à endosser à lui seul un héritage trop lourd, quitte à lui sacrifier son existence et même sa raison, à défaut de convaincre quiconque du secret écrasant dont il a été témoin et qui hante ses jours comme ses nuits, faute de pouvoir le partager pour s’en soulager. Avec en prime la présence symbolique de deux acteurs indissociables du jeune cinéma allemand des années 70 : Hanns Zischler, l’acteur fétiche de Wim Wenders à ses débuts, et David Bennent l’interprète du rôle-titre du Tambour de Volker Schlöndorff. Que de bonnes raisons de se laisser porter par l’étrangeté de ce film accueilli comme une révélation à la Mostra de Venise.

Jean-Philippe Guerand






Jan Bülow et Olivia Ross

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract