Jam Film sud-coréen de Jason Yu (2023), avec Jung Yu-mi, Lee Sun-kyun, Kim Kum-soon, Kim Kuk-hee, Lee Kyong-jin, Yoon Kyung-ho… 1h35. Sortie le 21 février 2024.
Une histoire à dormir debout
Qu’est-ce que la mise en scène ? La réponse se trouve pour une bonne part contenue dans ce film coréen qui réussit à nous bluffer à partir d’un argument réduit à sa plus simple expression, en s’appuyant sur un dérapage progressif de la normalité. Sleep s’appuie pour cela sur un jeune couple d’un conformisme à toute épreuve dont le mari sujet à des périodes de sommeil agitées se manifeste par des ronflements particulièrement sonores qui en viennent à perturber jusqu’à ses périodes de veille. Atteint de somnambulisme, l’homme commence à afficher des troubles du comportement qui font craindre à son épouse qu’il n’en vienne à commettre l’irréparable en attentant à la vie de leur nouveau-né. Au point que cette tragédie potentielle… l’empêche de dormir et qu’elle se tient aux aguets pour protéger son enfant d’une agression potentielle. De ce postulat somme toute élémentaire, Jason Yu tire un film d’une grande finesse psychologique qui tranche avec le cinéma fantastique traditionnel par une économie d’effets poussée à l’extrême. Par son cadre épuré et la simplicité de son point de départ qui ne s’autorise qu’un minimum de digressions, ce huis clos recèle une tension peu commune qui nous oppresse au point de déboucher sur la conviction que tout peut arriver. C’est le maître contemporain du cinéma coréen en personne, Bong Joon-ho, le réalisateur de Parasite, qui a le mieux résumé les enjeux de ce thriller à haute tension profondément dérangeant, en évoquant « le film le plus singulier et le plus malin que j’ai pu voir ces dix dernières années ». De l’état le plus répandu qui soit, le sommeil, Jason Yu fait une menace sournoise et imprévisible.
Les nuits avec son ennemi
Pour résumer, on pourrait dire que Sleep débute par des ronflements et s’achève par des cris. Il n’y a pourtant rien de convenu ou d’artificiel dans cette montée inéluctable de la terreur. C’est son cadre quotidien qui lui confère son caractère universel. Tous les parents ont connu un moment de doute ou d’angoisse face aux multiples dangers qui menacent leur progéniture impuissante à se défendre. Un désir de protection poussé ici jusqu’à l’absurde, tant les fantasmes se substituent à la réalité dans un réflexe irrationnel qui n’est en fait qu’une concrétisation de ce qu’on qualifie par commodité d’instinct maternel ou paternel selon les cas. Face à Jung Yu-mi, actrice subtile découverte en France dans Dernier train pour Busan, l’homme en proie à des démons intérieurs est campé par l’élégant Lee Sun-kyun, disparu brutalement à l’âge de 48 ans en décembre dernier et connu pour son rôle de chef de famille nantie dans Parasite (2019). Derrière son élégance de gendre idéal se tapit une menace dont Sleep exploite les moindres facettes avec une économie d’effets exemplaire. L’horreur n’a sans doute jamais été plus éloignée du grand-guignol que dans cette chronique d’un quotidien qui disjoncte jusqu’au chaos sous le poids de trop de nuits blanches accumulées. Dorénavant, on n’entendra plus jamais les ronflements des dormeurs dans le même état d’esprit.
Jean-Philippe Guerand
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