Film franco-belge de David Œlhoffen (2023), avec Guido Caprino, Nuno Lopes, Andrzej Chyra, Axel Granberger, Yann Goven, Felix Meyer, Teng Va, Arnaud Churin, Antonio Lopez, Wim Willaert, Francesco Casisa, Aurélien Caeyman, Maxence Perrin, Guillaume Verdier… 2h. Sortie le 21 février 2024.
Baroud d’honneur
David Œlhoeffen a démontré depuis ses débuts son intérêt pour les histoires d’hommes un peu anachroniques en revisitant un cinéma de genre plutôt viril. Avec son quatrième long métrage, il aborde un registre délaissé par le cinéma français : le film de guerre, à travers une période méconnue de notre histoire : l’assaut lancé par les troupes japonaises contre l’armée française en Indochine en mars 1945, quatre mois tout juste avant les bombardements de Nagasaki et Hiroshima qui mettront un terme définitif à la Seconde Guerre mondiale. Derrière son titre qui évoque ostensiblement celui du livre posthume d’Albert Camus “Le dernier homme”, auteur qu’il a lui-même porté à l’écran dans Loin des hommes (2014), situé quant à lui au début de la Guerre d’Algérie, Les derniers hommes suit une patrouille perdue de soldats de la légion étrangère au long d’un périple de trois cents kilomètres à travers la jungle pour rejoindre les bases alliées. Dans ce contexte qui évoque certains films de Pierre Schoendoerffer par son réalisme et un certain code de l’honneur, cette débâcle sous la menace d’un ennemi invisible se rapproche plutôt du climat délétère des Confins du monde de Guillaume Nicloux qui se déroulait peu ou prou au même endroit et la même année. Le réalisateur articule par ailleurs son scénario sur la structure classique du groupe en mouvement qui voit disparaître ses membres un à un pour se réduire comme une peau de chagrin, tandis que des divergences apparaissent quant à l’attitude à adopter, faute de hiérarchie pour donner des ordres. Le propos ne se complaît jamais dans la glorification, ni a fortiori dans l’héroïsation. Ces combattants usés par des snipers indécelables qui refusent l’affrontement ne sont plus que les ombres d’eux-mêmes et ont perdu non seulement l’idéal chevaleresque qui les a poussés à s’engager pour une cause qui n’est pas la leur, mais aussi leurs ultimes illusions. Ils ne sont plus que des cibles mouvantes promises à l’abattoir.
Délit de fuite
David Œlhoeffen joue de la personnalité de ses protagonistes, originaires de pays étrangers, pour réduire les échanges verbaux en se concentrant sur l’action et sur le poids exercé par la nature où se terre l’ennemi. Du roman “Les chiens jaunes” d’Alain Gandy, il conserve surtout un climat oppressant et des caractères solidement trempés qui donnent lieu à un casting résolument international où affleure une solidarité qui soude ce groupe avec plus d’efficacité que la cause pour laquelle ils combattent. Pas question de nationalisme comme tant de films de guerre. L’enjeu principal de cette histoire consiste d’autant plus pour chacun de ces guerriers à sauver sa peau que le combat apparaît douteux face à des adversaires invisibles. Qu’importe la cause, qui n’est ici que le prélude au bourbier dans lequel s’enliseront pendant trois décennies l’armée française puis les GIs américain, ce que montre le film, c’est l’embryon de ce qu’on appelle aujourd’hui la guerre asymétrique. Avec comme cadre l’exact opposé d’un champ de bataille : un terrain hostile et sauvage dont l’ennemi maîtrise la topographie et exploite les moindres caractéristiques. C’est là où la mise en scène d’Œlhoeffen produit son effet en jouant habilement de ce hors-champ permanent pour montrer l’angoisse qui étreint ces fuyards dépossédés malgré eux de leur nature de guerriers faute de pouvoir combattre comme on le leur a enseigné. Il émane enfin de ce beau film solennel et funèbre dépourvu de morceaux de bravoure une impression de fatalité implacable qui requiert une réceptivité particulière à la lenteur, même si celle-ci n’est jamais complaisante.
Jean-Philippe Guerand
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