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“Le dernier jaguar” de Gilles de Maistre



Film français de Gilles de Maistre (2023), avec Emily Brett Rickards, Lumi Pollack, Wayne Charles Baker, Paul Greene, Kelly Hope Taylor, Lucrezia Pini, Airam Camacho… 1h40. Sortie le 7 février 2024.



Airam Camacho



En quelques années, le cinéma français s’est fait une spécialité des spectacles familiaux animaliers où des adolescents prennent fait et cause pour des espèces plus ou moins menacées, le plus souvent pour échapper à une situation familiale cahotique. L’ex-journaliste Gilles de Maistre, lauréat du prix Albert-Londres 1990 pour son documentaire J'ai 12 ans et je fais la guerre s’est déjà illustré sur ce registre avec Mia et le lion blanc (2018), Le loup et le lion (2021) et prépare déjà Moon le panda. Le dernier jaguar raconte l’histoire d’une gamine élevée au cœur de la jungle amazonienne puis revenue à la vie occidentale qui apprend un jour que le fauve avec lequel elle a grandi se trouve menacé par un réseau de trafiquants d’animaux sauvages. À l’insu de son père qui a refait sa vie, elle se rend sur place, encombrée par une belle-mère aussi maladroite qu’envahissante qui cherche à s’attirer ses grâces, et entreprend de sauver la femelle jaguar de la folie des hommes, quitte à endurer pour cela des risques démesurés. Un sujet édifiant pour un conte d’apprentissage dont le plaisir naît paradoxalement de son scénario hautement prévisible conçu comme une mécanique de précision destinée à plaire aux enfants d’aujourd’hui en caressant leur fibre écologique dans le sens du poil. Rompu à ce canevas éprouvé, Gilles de Maistre progresse en terrain familier et mixe habilement les affres de l’adolescence et des familles recomposées avec une vision au goût du jour de la protection de l’environnement, à travers la sensibilisation de la nouvelle génération à cette cause fondamentale qui lui tient tant à cœur.



Emily Brett Rickards



Film après film, Gilles de Maistre a mis au point une véritable matrice dramatique qu’il recycle avec efficacité sinon une certaine roublardise en la perfectionnant un peu plus à chaque fois. Le fauve volontiers considéré comme menaçant y joue quant à lui le rôle d’un doudou pour un bébé, même si un carton met en garde préalablement le spectateur étourdi qui en viendrait à prendre un jaguar pour un gros chat inoffensif, sous prétexte qu’il grandit avec une gamine dénuée de préjugés, en est séparé le temps qu’ils grandissent, puis orchestre leurs retrouvailles au moment où l’animal sauvage se trouve lui-même menacé par la folie des hommes. Au point de s’avérer inoffensif pour sa jeune complice (c’est toujours une fille) et d’accompagner celle-ci dans le processus d’émancipation inhérent à l’âge dit ingrat. Une complicité tacite qui rallie le spectateur à sa cause et confère à ces films un caractère grand public calculé. Non seulement la condition animale y est défendue avec ardeur, mais le public visé, les enfants et les adolescents, y trouve un écho immédiat à ses aspirations voire à l’incompréhension générationnelle dont il pourrait se sentir victime de la part de ses aînés. Il convient toutefois de reconnaître au réalisateur un sens du casting, une roublardise narrative et un sens du spectacle exempt de toute considération auteuriste que ne possèdent pas toujours ses rivaux immédiats et qui se manifestent par l’usage systématique de l’anglais et des interprètes séduisants mais de modeste renom. Résultat, des films à vocation internationale qui n'ont rien à envier aux productions anglo-saxonnes équivalentes, mais brillent à l’exportation par leurs signes de reconnaissance universels et l’exaltation de valeurs largement partagées. Beau travail !

Jean-Philippe Guerand







Lumi Pollack

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