Het Smelt Film belgo-néerlandais de Veerle Baetens (2022), avec Rosa Marchant, Charlotte de Bruyne, Sebastien Dewaele, Naomi Velissariou, Amber Metdepenningen, Anthony Vyt, Matthijs Meertens, Charlotte van der Eecken… 1h51. Sortie le 28 février 2024.
Une femme dans un monde d’hommes
Certaines cinématographies se reconnaissent au premier coup d’œil. D’où vient donc la rage qui sous-tend certains films belges et notamment flamands ? Sans doute pour une bonne part des antagonismes qui fracturent ce plat pays depuis des lustres et y ont érigé le communautarisme en un véritable venin souterrain. Des films comme La merditude des choses (2009) de Felix van Groeningen, Bullhead (2011) de Michaël R. Roskam ou Animals (2021) de Nabil Ben Yadir témoignent à des titres divers d’une rare sauvagerie et puisent tous leur origine dans la Belgique profonde la moins reluisante. Dans son premier film en tant que réalisatrice, la comédienne Veerle Baetens a entrepris de porter à l’écran un best-seller néerlandophone de Lize Spit intitulé Débâcle (Actes Sud, 2018) qui traite du traumatisme subi par une jeune femme lorsqu’elle était adolescente. Cette chronique de l’innocence pervertie passe par une narration au passé qui accomplit d’incessants allers-retours dans le présent en compagnie d’une femme qui transporte un bloc de glace dans le coffre de sa voiture. Élevée dans une famille dysfonctionnelle où les enfants ont été priés de grandir tout seuls, Eva traîne avec les garçons et cherche à élargir le cercle de ses amis. Quitte à jouer avec le feu et à se brûler les ailes sans pouvoir effacer de sa mémoire l’événement tragique qui l’a empêchée de poursuivre une existence épanouie et l’a incitée à fuir les lieux de son enfance. Jusqu’au moment où elle éprouve le besoin d’y revenir pour se mettre en paix avec elle-même et confronter ses camarades à leurs responsabilités.
Le sexe faible
Débâcle distille une vision très noire de l’enfance, mais aussi un regard incisif sur le conditionnement des femmes par le patriarcat. Enfant, Eva voit la façon dont son père traite sa mère et l’encourage à boire pour mieux assurer sa domination. Elle prend conscience simultanément du piège dans lequel elle est conditionnée pour tomber. Alors elle fréquente les garçons de son village sans réaliser qu’eux aussi sont façonnés par leur éducation pour devenir à leur tour des mâles dominants. Le constat est accablant et converge avec les revendications du mouvement #MeToo pour donner un retentissement considérable à ce film qui se garde bien d’être angélique ou lénifiant. Il repose d’ailleurs pour une bonne part pour la composition impressionnante de sa jeune interprète, Rosa Marchant, à qui ce premier rôle important a valu le prix d’interprétation féminine au festival de Sundance 2023. Elle joue avec habileté de son physique atypique pour instiller un malaise qui infuse tout au long du film et trouve un aboutissement cohérent dans sa version adulte campée par Charlotte de Bruyne. Il émane de ce film anticonformiste un esprit frondeur qui n'est pas sans en rappeler un autre dans lequel une jeune femme se vengeait des mauvais traitements que lui avaient fait subir des villageois adeptes du droit de cuissage en profitant de son dénuement : La fiancée du pirate (1969) de Nelly Kaplan. Certes un demi-siècle s’est écoulé et le féminisme a évolué, mais ces deux films manifestent beaucoup de points communs par leur esprit subversif et confirment que le combat est loin d’être terminé.
Jean-Philippe Guerand
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