Film français de Quentin Dupieux (2023), avec Anaïs Demoustier, Gilles Lellouche, Édouard Baer, Jonathan Cohen, Pio Marmaï, Didier Flamand, Romain Duris, Agnès Hurstel, Jérôme Niel, Marc Fraize, Johann Dionnet, Nicolas Laurent… 1h17. Sortie le 7 février 2024.
Portrait de l’artiste en ludion
Film après film, Quentin Dupieux explore de nouvelles pistes. Tourné avant Yannick mais sorti après et passé entre-temps par la Mostra de Venise, Daaaaaali ! est sa première incursion dans le domaine fort en vogue du Biopic. Il s’attache à cet artiste fantasque qui se considérait lui-même comme son propre chef d’œuvre, mais monnayait sa gloire dans un spot publicitaire pour le chocolat Lanvin et avait désigné la gare de Perpignan comme le centre du monde à l’occasion d’un entretien qu’il accorde à une journaliste de télévision soumise à rude épreuve. Il ne s’agit toutefois pas pour le cinéaste de se livrer à une reconstitution en règle des faits et gestes de son sujet, mais plutôt d’appliquer le sens de la provocation et de la manipulation du maître surréaliste à son comportement quotidien dans le cadre réinventé de sa propriété extravagante sise dans la crique de Portlligat, à Cadaquès. Un peu comme Todd Haynes qui confiait le rôle de Bob Dylan dans I’m Not There (2007) à six interprètes dont Cate Blanchett. Dupieux donne quant à lui autant de visages à son Dali parmi lesquels Didier Flamand qui le personnifie âgé et Boris Gillot qui ne fait que passer. La singularité de son film est de changer d’acteur à vue, parfois au beau milieu d’une scène, comme si l’artiste n’était jamais tout à fait le même ni tout à fait un autre. Avec toutefois deux repères inamovibles : sa fine moustache en croc calquée sur celle de Velázquez et une façon incomparable de rouler les “r”.
Édouard Baer et Anaïs Demoustier
Mise en boîte
Daaaaaali ! est la mise en boîte du pionnier des artistes à avoir compris tout le parti qu’il pouvait tirer de sa personnalité en tant qu’objet promotionnel. C’est ce personnage fantasque et mégalo qui se démultiplie à l’écran dans les déclinaisons qu’en donnent Édouard Baer, Gilles Lellouche, Jonathan Cohen et Pio Marmaï. La mise en scène suit elle aussi le mouvement en se jouant de tous les codes traditionnels en vigueur avec un humour dévastateur, Dupieux allant jusqu’à accumuler les faux raccords, à l’image de ce couloir d’hôtel interminable que Dali met un temps invraisemblable à parcourir, sous le regard à peine étonné de la journaliste qu’incarne l’une des actrices fétiches du réalisateur, Anaïs Demoustier. Comme si le simple fait d’interviewer le maître condamnait ses interlocuteurs à se prêter à ses facéties les plus imprévisibles en faisant comme si de rien n’était. Or, c’est le contraire de ce qu’il attend de l’effet produit par le moindre de ses gestes. C’est ce qu’a bien compris le cinéaste en le dépeignant en représentation permanente, être imprévisible dont les humeurs varient en fonction de l’effet produit par ses extravagances et qui demande davantage à surprendre qu’à plaire, même s’il se considère lui aussi comme le nombril du monde et n’a pas la moindre considération pour les porte-micros qui viennent solliciter son avis sur tout et n’importe quoi. Ce portrait inventif d’un vaniteux est jubilatoire. Avec toujours ce laconisme qui reflète l’exigence de son auteur et mériterait d’inciter bon nombre de ses confrères à une telle concision.
Jean-Philippe Guerand
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