Bye bye Tiberias Documentaire franco-belgo-qataro-palestinien de Lina Soualem (2023), avec Hiam Abbass, Lina Soualem… 1h22. Sortie le 21 février 2024.
Destin de femme
Certains acteurs sont aussi des personnages de cinéma hors du commun par leur itinéraire et leurs choix. C’est le cas de la comédienne Hiam Abbass, héritière des grandes tragédiennes méditerranéennes mise aujourd’hui en lumière par Lina Soualem, sa fille prodigue, laquelle a choisi d’emprunter la voie du documentaire et célèbre ici ses racines aussi tortueuses que l’histoire du Moyen-Orient. Une trajectoire mémorielle qui-sous-tendait déjà son premier film, Leur Algérie (2020), dans lequel elle interrogeait cette fois les racines de son père, lui aussi acteur, Zineddine Soualem. Ces deux documentaires passionnants où les témoignages se mêlent aux films de l’album de famille façonnent ainsi un devoir de mémoire en miroir qui ne se complaît jamais dans la nostalgie ni la complaisance. À travers le vécu de sa mère, la réalisatrice extrait subtilement ce qui appartient à la femme et ce qui fait la spécificité de l’actrice, aussi riche et multiple que l’histoire de la terre sur laquelle elle est née avant de s’imposer comme une personnalité marquante de ce qu’il est convenu d’appeler le cinéma international, pour éviter de lui coller une étiquette géographique trop réductrice. Originaire d’un village palestinien, Hiam Abbass s’est exilée en Europe pour réaliser ses rêves artistiques. Bye Bye Tibériade l’incite à revenir sur la terre de ses ancêtres pour évoquer la condition de ces femmes parmi lesquelles elle a grandi : sa grand-mère, sa mère et ses sept sœurs. Il n’y a pourtant jamais aucune aigreur dans ce pèlerinage, mais plutôt les effets de sa complicité avec sa propre fille avec qui elle partage des souvenirs communs : des vacances insouciantes pour l’une qui sont pour l’autre des moments de retrouvailles avec sa famille dont témoignent des Home Movies joyeux.
Devoir de mémoire
Les documentaristes ont cet avantage insigne de pouvoir bénéficier aujourd’hui de la banalisation des moyens de tournage et de donner à de simples films familiaux une valeur ajoutée de témoignages sur une époque révolue dont les images d’actualité traditionnelles n’auraient jamais restitué la même intimité. Au super-huit et aux multiples formats vidéo a succédé désormais le phénomène des téléphones mobiles dont les caméras filment en permanence tout ce qui se passe et concrétisent le fantasme orwellien de Big Brother. D’où l’évolution du documentaire comme un véritable laboratoire d’essai, désormais capable de tout, y compris de colmater par la fiction et toutes sortes de subterfuges et d’artifices créatifs les images manquantes, comme ont pu le faire récemment sous des formes diverses Mona Achache dans Little Girl Blue, Kaouther Ben Hania dans Les filles d’Olfa et Asma El Moudir dans La mère de tous les mensonges, les deux dernières s’étant partagées judicieusement l’Œil d’or du meilleur documentaire à Cannes. Sans doute de simples étapes vers un mélange des genres prévisible et sans doute imminent. Lina Soualem n’a pas besoin de recourir à de tels artifices car au-delà de ses archives familiales, elle sollicite la voix de sa mère et va jusqu’à orchestrer des retrouvailles familiales qui n’ont vraiment rien de fabriqué, tant elle possède déjà toutes les intuitions inhérentes aux cinéastes les plus chevronnés.
Jean-Philippe Guerand
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