Documentaire français de Jean-Michel Bertrand (2023), avec Jean-Michel Bertrand… 1h29. Sortie le 24 janvier 2024.
Le cinéma animalier est devenu en quelques années un genre en soi qui va du témoignage humain saisi sur le vif à une fictionnalisation parfois très avancée. C’est sa fascination pour les loups qui a conduit Jean-Michel Bertrand à prendre une caméra pour en témoigner. Son nouveau film boucle une trilogie entreprise avec La vallée des loups (2016) et Marche avec les loups (2019) qui n’aurait sans doute pas existé sans la miniaturisation des outils de tournage et leur facilité d’utilisation. Il nous livre aujourd’hui une sorte de journal intime de sa cohabitation avec les canidés sauvages qu’il ponctue d’incursions dans des sites parfois éloignés de son rayon d’action afin de dresser un état des lieux documenté avec le concours de spécialistes reconnus de la condition animale. Un propos fort mais sujet à polémique qui lui a valu par le passé de recevoir des menaces de mort de la part des nombreux opposants à la réintroduction des loups, à commencer par les éleveurs qui se plaignent de voir leurs troupeaux anéantis par ces intrus. Une hostilité qui renvoie également à une longue tradition et notamment à la place occupée par le loup dans les contes et légendes de notre enfance. C’est aussi contre ce fantasme séculaire que s’élève Jean-Michel Bertrand en tordant le cou à pas mal d’idées reçues et en s’inscrivant dans une conception délibérément actuelle du respect de la nature et de l’écologie.
Vivre avec les loups s’affirme comme un plaidoyer en faveur de cet animal poursuivi par sa mauvaise réputation, mais à propos duquel circulent davantage de légendes que de vérités. C’est contre cette terreur irrationnelle et pour une part infondée que s’élève Jean-Michel Bertrand à travers les images qu’enregistrent au quotidien ses caméras automatisées. Son film montre pour démontrer que nous sommes conditionnés aujourd’hui encore par des réactions irrationnelles qu’on peut imputer à cette peur du loup venue de la nuit des temps et qui a largement été perpétuée par la littérature comme par le cinéma. Ce documentaire réalisé avec des moyens limités émerveille par la beauté de ses images et une recherche esthétique qui sert un propos argumenté par des spécialistes sollicités pour établir et corroborer des faits scientifiques plutôt que pour exprimer des impressions personnelles. Le propos de Bertrand consiste à rétablir des vérités fondamentales qui ont peu à peu été occultées par des croyances alternatives. Car au-delà de son sujet, ce beau film s’inscrit profondément dans notre époque en s’efforçant de démêler le vrai du faux et de chasser les effets dévastateurs relayés désormais par les réseaux sociaux qui substituent les fausses rumeurs aux faits objectifs sans qu’il soit toujours possible de les modérer, de les corriger sinon de les infirmer en pleine connaissance de cause. Baigné d’un propos humaniste solidement argumenté, ce documentaire à voir sur grand écran constitue donc aussi un antidote puissant à un certain obscurantisme ambiant contre tous ceux qui ne cessent de crier au loup.
Jean-Philippe Guerand
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