Film d’animation hispano-franco-portugo-péruvio-néerlandais de Fernando Trueba et Javier Mariscal (2023), avec (voix) Jeff Goldblum, Roberta Wallach, Tony Ramos, Abel Ayala, Ângela Rabelo, Stephen Hughes, Alejandra Flechner, Malena Barretto, Raymundo Bittencourt… 1h43. Sortie le 31 janvier 2024.
Le cinéma d’animation est parfois l’occasion pour certains réalisateurs de s’aventurer hors de leur zone de confort, dans des univers plus oniriques ou dont la reconstitution s’avèrerait hors de prix. De plus en plus s’y essaient ponctuellement pour des raisons diverses, de Patrice Leconte avec Le magasin des suicides (2012) à Zabou Breitman (et Eléa Gobbé-Mévellec) avec Les hirondelles de Kaboul (2019), en passant par Pablo Berger avec Mon ami robot et Michel Hazanavicius avec La plus précieuse des marchandises. Le cinéaste espagnol Fernando Trueba poursuit quant à lui son association avec le dessinateur Javier Mariscal sous le signe de la musique après Chico & Rita (2011). Aux rythmes afro-cubains succède dans They Shot the Piano Player une évocation du jazz et de la bossa nova, à travers l’enquête que mène un critique musical new-yorkais sur la mystérieuse disparition d’un virtuose brésilien du piano dans l’Argentine de 1976, seulement six jours avant le coup d’état militaire qui va plonger le pays dans les ténèbres. Un sujet en or pour ce réalisateur mélomane qui a édité un “Dictionnaire du latin jazz” en 1998 et créé une société de production de musique à l’occasion du documentaire Calle 54 (2000) qu’il a consacré aux représentants du latin jazz les plus célèbres. C’est dire combien il est expérimenté en la matière.
They Shot the Piano Player évoque par son titre l’avertissement apposé dans certains saloons priant les consommateurs d’épargner le pianiste en cas d’échange de coups de feu. Trueba et Mariscal recyclent quant à eux les codes du film noir pour évoquer ce tournant des années 70 où l’Amérique latine a vécu une brève parenthèse enchantée avant de s’enfoncer dans de nouvelles dictatures. On imagine le coût qu’aurait représenté la reconstitution de cette époque hors du cadre hollywoodien. Le cinéma d’animation convient d’autant mieux à un tel sujet qu’il permet des audaces pratiquement illimitées à un coût moindre. C’est aussi pour les réalisateurs l’occasion de manifester leurs références personnelles, qu’elles soient esthétiques, cinématographiques ou musicales. Et là, le film affirme sa différence en invoquant une double nostalgie : celle de l’ambiance enfumée des boîtes de jazz et des couleurs clinquantes associées aux rythmes exotiques, mais aussi cette époque d’il y a un demi-siècle placée sous le double signe du disco, mais pas encore du baladeur. Le film lui-même manifeste une liberté totale et entremêle l’enquête avec des bribes de la vie de son objet, le trop méconnu Tenório Jr. qui a pourtant joué avec les plus grands, et les témoignages de ceux qui ont croisé sa route et figurent parmi l’élite de la musique brésilienne : Vinicius de Moraes, Tom Jobim, João Gilberto, Caetano Veloso, Milton Nascimento, Gilberto Gil, Paulo Moura et João Donato. Nul besoin d’être connaisseur pour apprécier cette enquête qui applique les spécificités du documentaire et du film d’animation à un authentique thriller d’investigation politique.
Jean-Philippe Guerand
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