Accéder au contenu principal

“Scrapper” de Charlotte Regan



Film britannique de Charlotte Regan (2023), avec Harris Dickinson, Lola Campbell, Alin Uzun, Cary Crankson, Carys Bowkett, Ambreen Razia, Jessica Fostekew, Asheq Akhtar, Joshua Frater-Loughlin, Aylin Tezel, Olivia Brady, Matt Brewer, Maura Aikman… 1h24. Sortie le 10 janvier 2024.



Harris Dickinson et Lola Campbell



Le cinéma anglais avant aujourd’hui à ce point en ordre dispersé qu’il est d’autant plus plaisant d’accueillir des signes de vie encourageants de sa part que ses maîtres sont pour la plupart octogénaires, aussi vaillants soient-ils, de Ken Loach à Stephen Frears en passant par Ridley Scott, pour ne mentionner que ceux dont on a eu des nouvelles récentes. Après Charlotte Wells (Aftersun) et Molly Manning Walker (How to Have Sex), qui officie en tant que directrice de la photo de Scrapper, Charlotte Regan évolue elle aussi sur le registre du drame psychologique en confirmant l’émergence d’une nouvelle génération de réalisatrices soucieuses de témoigner du monde qui les entoure. Elle s’y attache à une gamine de 12 ans bourrée d’imagination qui a réussi à cacher la mort de sa mère aux services sociaux et vit depuis son deuil en autarcie, en accumulant les mensonges. Jusqu’au moment où débarque un inconnu qui lui affirme être son père. Commencent alors de lents travaux d’approche entre cet adulte immature et cette préadolescente trop vite montée en graine. Une confrontation ponctuée de scènes insolites et d’événements anodins où la réalisatrice et sa complice à la caméra cernent ces deux protagonistes avec une infinie délicatesse. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Charlotte Regan revendique sa filiation avec Ken Loach, à la fois dans le regard qu’ils portent l’un et l’autre sur l’enfance et sur la classe ouvrière.



Lola Campbell



Malgré son thème dramatique, Scrapper regarde en quelque sorte le bon côté des choses sans jamais céder au misérabilisme ou au pathos. La petite Georgie qu’incarne Lola Campbell manifeste ainsi un sens aigu du concret et une débrouillardise de nature à résoudre les situations les plus délicates, avec des échappées vers ce que la réalisatrice appelle elle-même le réalisme magique. Elle donne ainsi parfois l’impression d’avoir appris toute seule à faire face et de posséder en elle des trésors d’invention pour faire face aux impondérables dans un instinct de survie qui lui dicte de mentir systématiquement et avec une sacrée dose d’imagination pour préserver sa liberté, quitte à s’associer parfois à son meilleur copain. Charlotte Regan exploite en outre à merveille les rapports de cette fausse ingénue dont le film épouse le regard avec son père à l’écran, qu’interprète Harris Dickinson révélé par Ruben Östlund dans Sans filtre, ici nettement plus destroy avec ses cheveux oxygénés et son allure de Bad Boy en proie à des responsabilités qui le dépassent totalement. Ce film simple et touchant est de ceux qui émeuvent sans crier gare, en usant de l’humour et de la fantaisie pour brouiller les pistes, mais sans bouder pour autant son pouvoir d’empathie. Gageons que sa réalisatrice refera parler d’elle rapidement.

Jean-Philippe Guerand



Lola Campbell

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract