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“Moi, capitaine” de Matteo Garrone



Io Capitano Film italo-belgo-luxembourgo-français de Matteo Garrone (2023), avec Seydou Sarr, Moustapha Fall, Issaka Sawadogo, Bamar Kane, Afif Ben Badra, Hichem Yacoubi, Joseph Beddelem, Oumar Diaw, Mariam Kaba, Princess Erika, Observateur Ébène, Cheick N’Diaye… 2h02. Sortie le 3 janvier 2024.



Seydou Sarr (à gauche)



Les multiples courants de migration font aujourd’hui l’objet de films de plus en plus nombreux, qu’il s’agisse de documentaires ou d’œuvres de fiction. Reflets spectaculaires de ces exodes massifs dus aux conflits armés, au réchauffement climatique et à toute la misère du monde. Matteo Garrone s’attache ainsi à deux adolescents sénégalais désireux d’aller tenter leur chance en Europe à l’insu de leur famille. Un périple épique qui ne cadre évidemment pas avec la naïveté de leurs rêves et met en évidence la perversion endémique de l’économie souterraine qu’a engendré ce phénomène de masse, avec son lot de passeurs et d’intermédiaires. Ce calvaire, le cinéma nous l’a souvent donné à voir, d’Eden à l’Ouest (2008) de Costa Gavras aux documentaires du réalisateur italien Gianfranco Rosi. Son compatriote Matteo Garrone le dissèque sans complaisance dans toute son absurdité, en décrivant par le menu ce qui ressemble à la fin de l’innocence. Il dénonce en outre un système pernicieux au sein duquel l’être humain devenu quantité négligeable n’est plus qu’une marchandise comme les autres pour ceux qui exploitent sa détresse. Moi, capitaine est en cela un film édifiant aux images parfois pénibles sinon complaisantes que le réalisateur de Gomorra met en scène à la manière d’un véritable rituel satanique, avec son lot de déshumanisation qui veut qu’un homme éjecté d’un camion relève d’un vulgaire dégât collatéral et que ces damnés de la terre contraints à l’exil se retrouvent dépossédés à la fois de leur nationalité et de leur identité.



Seydou Sarr (à droite)



Le constat est implacable, mais il passe par un objectif narratif convenu dont les médias traditionnels ne nous exposent généralement que l’aboutissement ou les épisodes les plus tragiques. Le propos de Matteo Garrone est tout autre. Il consiste à suivre ce véritable parcours du combattant au cours duquel les migrants d’Afrique noire remontent leur continent vers le Maghreb avant de traverser la Méditerranée sur des embarcations de fortune. Avec cette ironie qui consiste ici pour l’un d’eux à mener le rafiot à bon terme en se substituant aux passeurs défaillants. Moi, capitaine a le mérite de mettre des images sur une réalité dont nous ne percevons que des bribes éparses sans être véritablement en mesure de les contextualiser en pleine connaissance de cause. On y traverse des territoires sans foi ni loi où règne le droit du plus fort et où tout s’achète et tout se vend, sans que quiconque cherche à mettre un terme à cette barbarie instrumentalisée pour cause de pouvoir politique défaillant. Au-delà de l’épreuve individuelle qu’il prend pour trame, le film décrit un monde ravagé par les conflits armés et le terrorisme où la civilisation a reculé brutalement de plusieurs siècles en laissant resurgir le spectre de l’esclavagisme dans des contrées livrées à elles-mêmes, suite au retrait de l’Occident. Ce périple géographique apparaît donc aussi comme un véritable voyage dans le temps qui se poursuit dans l’indifférence générale.

Jean-Philippe Guerand






Seydou Sarr (au centre)

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