Film américain de Todd Haynes (2023), avec Natalie Portman, Julianne Moore, Charles Melton, Cory Michael Smith, Piper Curda, Kelvin Han Yee, Drew Scheid, Jocelyn Shelfo, Elizabeth Yu, Andrea Frankle, Allie McCulloch, Hans Obma, Hailey Wist… 1h57. Sortie le 24 janvier 2024.
Natalie Portman et Julianne Moore
Directeur d’actrices de renom, Todd Haynes réunit dans son nouveau film deux des meilleures comédiennes de leur génération : Julianne Moore, son interprète fétiche qu’il fut l’un des premiers à révéler dans Safe (1995) et à qui il a offert l’un de ses plus beaux rôles dans Loin du paradis (2002), et la trop rare Natalie Portman qu’il dirige pour la première fois. Un duo inédit pour un portrait en miroir dans lequel une jeune actrice se rapproche de la femme dont elle doit interpréter le rôle à l’écran afin de mieux s’identifier à elle. Un sujet qui évoque évidemment le cinéma d’Ingmar Bergman et plus particulièrement deux de ses films réalisés à une décennie de distance : Persona (1966), pour le phénomène de vampirisation qui rapproche une infirmière et une actrice frappée de mutisme, mais dont Todd Haynes prend sagement ses distances en évitant de fusionner ces visages féminins qu’il s’acharne à cadrer en gros plan, et Face à face (1976), dont May December rappelle l’affiche par son évocation du fameux test de Rorschach, où une psychiatre cédait à ses fantasmes en passant de l’écoute à la parole. Réputé pour son aisance avec les actrices, le réalisateur se garde bien de citer ses maîtres, mais se nourrit de leur contribution au septième art. Souvent déchiré entre la puissance du drame et la force du mélodrame, il esquisse ici une sorte de compromis qui constitue aussi une réflexion sur le métier de comédienne en tant que femme sous influence et le processus de mimétisme qui en représente souvent l’une des facettes les plus caractéristiques.
Julianne Moore et Natalie Portman
Comme souvent chez le réalisateur d’I’m Not There, un personnage peut en cacher un sinon plein d’autres. Il s’attache en l’occurrence dans May December à un processus qu’il connaît particulièrement : celui de l’actrice qui s’approprie un personnage en préparant son rôle. Et là, la référence qui s’impose est à chercher du côté de John Cassavetes et plus particulièrement d’Opening Night (1977) dans lequel il a dirigé son épouse, Gena Rowlands, sur la corde raide des sentiments. Or, c’est précisément parce qu’il assume ces influences et s’en nourrit que Todd Haynes donne à cette étude de caractères magistrale une authenticité dénuée d’artifices, en poussant ses deux interprètes virtuoses à se transcender sur une partition ciselée jusqu’à l’épure et à élucider pour une bonne part ce fameux paradoxe du comédien cher à Diderot qui consiste parfois à se mettre dans la peau des autres sans sacrifier pour autant sa propre identité. Au-delà de ce jeu d’identification vertigineux, le film s’attache aussi aux relations étranges qu’entretiennent la femme faussement comblée qu’incarne Julianne Moore et ce personnage étrange qu’est son mari d’origine coréenne et de vingt ans son cadet, effacé sinon soumis, avec qui sa relation scandaleuse a débuté quand il n'avait que 13 ans ! Un couple devenu en quelque sorte asymétrique après avoir été scandaleux dont le réalisateur dépeint avec subtilité les relations, en feignant de ne s’intéresser qu’à cette maîtresse femme qui porte la culotte pour la galerie afin d’éviter de céder aux démons qui l’obsèdent. Détail significatif, ce film qui propose davantage de questions que de réponses préfère nous suggérer des pistes de réflexion que nous asséner des certitudes. C’est suffisamment rare dans le cinéma moderne pour mériter d’être souligné, mais c'est aussi la marque de fabrique inhérente à Haynes.
Jean-Philippe Guerand
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