Film français de Cédric Kahn (2023), avec Denis Podalydès, Jonathan Cohen, Stefan Crepon, Souheila Yacoub, Emmanuelle Bercot, Xavier Beauvois, Valérie Donzelli, Orlando Vauthier, Thaïs Vauquières, Thomas Silberstein, Riad Gahmi, Karim Seghair, Arnaud Pilarczyk, Rachid Bouzid, Stéphanie Bailly… 1h54. Sortie le 10 janvier 2024.
Souheila Yacoub et Jonathan Cohen
Il existe chez beaucoup de cinéastes un irrépressible besoin de mettre leur métier en perspective pour en raconter les dessous. Federico Fellini (Huit et demi), Jean-Luc Godard (Le mépris), François Truffaut (La nuit américaine), Michel Hazanavicius (Coupez !) ou récemment Damien Chazelle (Babylon) et Steven Spielberg (The Fabelmans) en ont témoigné à des degrés variables. Cédric Kahn choisit quant à lui de décrire un plateau de tournage comme l’épicentre d’une véritable crise existentielle pour un réalisateur engagé qui voit la réalité dépasser la fiction. Embarqué dans un film à thèse qui relate la lutte menée par des ouvriers pour sauver leur usine, il se retrouve à la merci de son beau parleur de producteur et d’une équipe qui perd confiance tandis que l’argent vient à manquer. Simultanément, le jeune homme qu’il a recruté pour tourner le making of s’avère nettement mieux inspiré que lui et manifeste une inventivité dont il ne se sent plus vraiment capable, usé par un système qui broie les talents davantage qu’il ne les stimule et contraint les artistes à se muer en représentants de commerce pour aller au bout de leurs rêves en se donnant les moyens de leurs ambitions. On retrouve dans Making of des échos lointains du dernier opus en date de Nanni Moretti : Vers une destinée heureuse, une autre réflexion sur le cinéma dans laquelle un puriste droit dans ses bottes voyait ses rêves se fracasser contre la réalité du marché, comme atteint par la fatalité d’une date de péremption indicible. Le propos du réalisateur de L’ennui est toutefois moins amer, mais d’une grande justesse par sa façon de décrire ce petit milieu qui préfère bien souvent des histoires pour ne pas avoir à affronter la réalité la plus prosaïque.
Xavier Beauvois et Denis Podalydès
En trois décennies, Cédric Kahn a vu le cinéma d’auteur français résister tant bien que mal à de multiples attaques, en s’accrochant à son indépendance, tout en obtenant quelques succès significatifs qui lui ont permis de durer sans céder à la fameuse loi du marché. Simultanément, comme bon nombre de ses confrères, il a accepté de devenir lui-même acteur, ce qui lui a permis de porter un autre regard sur le cinéma français, en ajoutant au champ un contrechamp tout aussi fertile en enseignements. Il a eu d’ailleurs lui-même l’idée de confier à trois réalisateurs des rôles de pure composition dans Making of : Emmanuelle Bercot, Valérie Donzelli et Xavier Beauvois. Des contributions précieuses qui ne font qu’ajouter à l’authenticité de son propos. Son propos ne consiste pas à expliquer comment on réalise un film, mais plutôt à montrer à quel point cette passion est d’abord un métier à part entière qui requiert diverses compétences spécifiques et répond à un rituel précis où le plaisir s’enfante souvent dans l’effort et la douleur. Avec en codicille tous les sacrifices et les compromissions qu’imposent des conditions économiques parfois précaires, dans un contexte où l’argent va à l’argent et où les investisseurs prêts à ses saigner aux quatre veines pour financer des œuvres “à message” se font de plus en plus rares. Cédric Kahn a pourtant maintes fois démontré le contraire à travers des œuvres audacieuses qui ont su trouver leur public dont son précédent film, Le procès Goldman. Making of en constitue en quelque sorte un vade mecum à l’usage du grand public.
Jean-Philippe Guerand
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