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“Ma part de Gaulois” de Malik Chibane



Film français de Malik Chibane (2023), avec Adila Bendimerad, Abdallah Charki, Lyes Salem, Cif-Eddine Garda, Marwan Amesker, Adda Senani, Régis Lux, Rayan Feghoul… 1h31. Sortie le 31 janvier 2024.



Adila Bendimerad



Avant de devenir un film, Ma part de Gaulois fut le troisième livre signé Magyd Cherfi dans lequel le leader du groupe Zebda ponctuait le récit de sa jeunesse de détails imaginaires. Malik Chibane a trouvé un sujet qui lui parle dans cette évocation d’une jeunesse française dans une cité peuplée d’immigrés où son jeune héros deviendra le premier à passer son bac grâce aux sacrifices de sa mère. Cet éloge du mérite républicain est l’œuvre d’un raconteur d’histoires qui se concentre sur les relations de cet élève méritant, mais pas toujours récompensé de ses efforts, avec des parents qui ne se projettent pas exactement de la même façon sur la réussite scolaire de leur fils. Là où le père voit son avenir à travers le filtre de sa modeste condition de conducteur de grue, la mère nourrit de plus grandes ambitions et se saigne pour lui offrir des cours particuliers et conjurer une certaine fatalité sociale qui empêche les autres familles d’imaginer même de s’élever dans cette société française qui n’a accepté que par nécessité les immigrés de ses ex-colonies. Un postulat traité avec une grande justesse qui passe aussi par un isolement progressif, celui qui tente de réussir suscitant un certain ostracisme de la part de ses amis d’enfance et de ses voisins avec lesquels il va devoir rompre pour pouvoir voler de ses propres ailes dans un grand lycée parisien, quitte à avoir du mal à se faire accepter de ses nouveaux camarades issus quant à eux de milieux plus favorisés. Chibane n’élude aucun des écueils inhérents à ce tableau de mœurs solidement ancré dans les années 70 et 80 où les parents sont reconnaissants à l’égard de Valéry Giscard d’Estaing qui a contribué à normaliser les rapports entre la France et l’Algérie, tandis que leurs enfants revendiquent leur appartenance à la fameuse Génération Mitterrand. Une multiplicité de thèmes pour un film qui reflète avec justesse l’esprit de cette époque.



Cif-Eddine Garda et Abdallah Charki



Ma part de Gaulois est avant tout un formidable portrait de femme : celui d’une mère qui projette sur son fils cadet ses propres frustrations et caresse un rêve de gamine : apprendre à monter à bicyclette. Malik Chibane choisit pour l’interpréter une personnalité exceptionnelle : la comédienne Adila Bendimerad vue récemment dans le rôle-titre de La dernière reine qu’elle a par ailleurs coréalisé avec Damien Ounouri. Elle s’inscrit dans la plus pure tradition de ces divas méditerranéennes au sang chaud qui ont brillé dans tant de mélodrames et de tragédies. Avec en guise de contrepoint le mari faussement macho mais vraiment complice que campe le toujours juste Lyes Salem. Reste le personnage principal qu’incarne Abdallah Charki. Sa séduction n’est ni celle d’un macho, ni celle d’un hâbleur. Il essaie juste de se comporter en élève modèle pas toujours récompensé de ses efforts, mais soucieux de répondre aux aspirations de sa mère et de son enseignante du collège pour qui sa réussite est plus qu’un symbole : une authentique révolution des mœurs. Quitte à être considéré comme un traître par ceux qui n’ont pas eu son audace et sa détermination. Un thème récurrent chez le réalisateur trop rare d’Hexagone (1994) et de Douce France (1995) qui excelle pourtant sur le registre de la comédie de mœurs en évitant les raccourcis saisissants et le manichéisme propres à ce genre de thématiques, le film se terminant au moment où son personnage principal se produit pour la première fois sur scène et prend une fois de plus la tangente.

Jean-Philippe Guerand








Adila Bendimerad

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