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“Les chambres rouges” de Pascal Plante



Film canadien de Pascal Plante (2023), avec Juliette Gariépy, Laurie Fortin-Babin, Elisabeth Locas, Maxwell McCabe-Lokos, Frédérick de Grandpré, Guy Thauvette, Nathalie Tannous, Pierre Chagnon… 1h58. Sortie le 17 janvier 2024.



Juliette Gariépy et Laurie Fortin-Babin



Du haut de la tour vitrée dans laquelle elle vit tapie derrière l'écran de son ordinateur, Kelly-Anne contemple Montréal. C’est beau une ville la nuit… Ses journées, elle les passe au tribunal où se déroule le procès d’un tueur en série qui a poussé le sadisme jusqu’à filmer le calvaire de ses victimes dans les moindres détails d’un atroce rituel satanique. Trouble fascination qu’elle partage avec une jeune femme avec qui elle a sympathisé et qui les incite l’une et l’autre à se lancer dans une étrange croisade pour dénicher la pièce manquante d’un puzzle monstrueux… Les chambres rouges est un thriller psychologique inconfortable fondé sur le malaise indicible qu’il distille derrière le visage pourtant aimable de son personnage principal et les sombres pensées qu’il recèle. Non pas à travers le monstre pathétique qui est jugé, mais en raison de l’attraction malsaine qu’exerce cette ténébreuse affaire sur deux femmes solitaires vivant par procuration au rythme des montées d’adrénaline que provoque en elles le récit de ces turpitudes. Considéré à travers le prisme du monde actuel, certains y verront un film féministe qui dénonce les violences faites aux femmes. D’autres y distingueront une tragique méditation sur la solitude inhérente aux grandes villes et les échappées illusoires que permettent Internet et son aspect le plus obscur : le Dark Web.



Maxwell McCabe-Lokos



Déjà remarqué pour Nadia, Butterfly (2020), Pascal Plante adopte un point de vue singulier sur une trame au fond assez classique. Son objectif ne consiste pas à élucider l’affaire criminelle qui est jugée, mais à étudier son impact sur des personnalités vulnérables chez qui elle provoque une résonance irrationnelle dans un élan de sororité qui laisse libre cours à de multiples interprétations. Le réalisateur mise en cela sur une actrice omniprésente qui préserve jusqu’à la fin le mystère dont est auréolé son personnage : Juliette Gariépy, révélée par la websérie La maison des folles et calibrée ici comme une héroïne hitchcockienne passablement déséquilibrée. Sa beauté glacée associée à la détermination dont témoigne son personnage de justicière laisse libre cours à bien des supputations, sans que le film cherche vraiment à les élucider. D’où le profond malaise qui s’instaure, notamment à travers l’emprise qu’elle exerce sur une comparse vulnérable et manipulable à souhait. Derrière l’efficacité de sa mise en scène et le trouble qu’il distille à jet continu avec une prédilection affirmée pour la disruption, ce film se révèle d’autant moins de tout repos qu’il laisse derrière lui bon nombre de questions sans réponses, ce qui n’est pas nécessairement un défaut au sein d’un cinéma contemporain souvent trop calibré pour réussir à surprendre en recyclant les mêmes formules à l’infini.

Jean-Philippe Guerand






Juliette Gariépy

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