Film français de Noé Debré (2023), avec Michael Zindel, Agnès Jaoui, Youssouf Gueye, Solal Bouloudnine, Eva Huault, Jean-Yves Freyberger, Rony Kramer… 1h29. Sortie le 24 janvier 2024.
Michael Zindel
Un jeune homme vivant dans une cité de banlieue avec sa mère depuis toujours se trouve confronté à la perspective de quitter ce lieu où il a grandi et que la communauté juive a déserté peu à peu. Un déménagement qui prend l’allure copernicienne, car il le contraint malgré lui à assumer son âge et à prendre ses responsabilités en tant qu’adulte après s’être trop longtemps accroché à son enfance et à des voisins qui ont grandi et vieilli. Pour son premier film, le scénariste Noé Debré (nommé au César pour sa contribution à Dheepan, un autre film de banlieue) creuse une veine très personnelle en décrivant l’exode accompli par certaines communautés au fil de ces dernières décennies. Il célèbre à travers cette thématique un vivre-ensemble non pas utopique mais bien réel qui a contribué à instaurer une véritable solidarité entre ces banlieusards logés dans des cités souvent mal entretenues sinon délabrées, en faisant abstraction de leurs caractéristiques ethniques au point de partager leurs traditions tout en les respectant. Une mixité passée par l’enfance qui a laissé des traces indélébiles et forgé des liens durables au-delà du communautarisme si souvent stigmatisé. Le dernier des Juifs est le portrait d’une société en pleine mutation à travers deux de ses représentants qui n’ont pas vu le temps passer ni le monde changer autour d’eux : la mère parce qu’elle travaille à domicile et n’entretient que des relations sociales réduites à leur plus simple expression, le fils parce qu’il la protège et vaque aux tâches quotidiennes sans s’être intégré pour autant dans le monde professionnel.
Agnès Jaoui et Michael Zindel
Cette chronique d’un monde en voie de disparition repose sur deux personnages fusionnels : la mamma recluse que campe Agnès Jaoui dans une composition bouleversante qui évoque les grandes égéries du cinéma méditerranéen où le rire n’est jamais loin des larmes et ce garçon qui refuse de grandir par peur d’affronter ses responsabilités d’adulte. Il convient de louer ici la composition toute en finesse de Michael Zindel qui réussit la prouesse de gommer son âge biologique pour se glisser dans la peau de cet observateur accroché à des souvenirs magnifiés, conscient que son départ de la cité le précipitera dans ce monde réel agressif qu’il redoute tant pour avoir réussi à le fuir jusqu’alors. Un sujet très original abordé ici avec un tact infini que ne reflète pas nécessairement le titre un peu pompeux de ce film pince-sans-rire. Il y a aussi curieusement quelque chose de l’esprit nostalgique de Goodbye Lenin ! dans ce jeu de faux-semblants et de mensonges qui s’accroche à cette idée illusoire que le changement est une aventure dangereuse et qu’il est préférable de prolonger le passé plutôt que d’affronter le présent et a fortiori l’avenir avec leur chapelet d’imprévus. Cette variation poétique autour du fameux “c’était mieux avant” manifeste toutefois moins d’aigreur que de regrets, dans l’esprit d’une recherche du paradis perdu qui va de pair avec un refus de grandir pas si déraisonnable que cela. Comme une invitation malicieuse à ralentir la marche d’un monde lancé à toute allure vers l’inconnu.
Jean-Philippe Guerand
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