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“Le cercle des neiges” de Juan Antonio Bayona



La sociedad de la nieve Film américain de Juan Antonio Bayona (2023), avec Enzo Vogrincic Roldán, Simón Hempe, Matias Recalt, Rafael Federman, Agustin Pardella, Esteban Bigliardi, Felipe González Otaño, Diego Ariel Vegezzi, Fernando Contigiani Garcia, Esteban Kukuriczka, Francisco Romero, Valentino Alonso, Tomas Wolf… 2h24. Mise en ligne sur Netflix le 4 janvier 2024.





Le 13 octobre 1972, les joueurs fougueux de l’équipe de rugby à quinze des Old Christians de Montevideo sont victimes d’un crash aérien en traversant la Cordillière des Andes en territoire argentin à bord du vol Fuerza Aérea Uruguaya 571 à destination du Chili. Faute d’avoir pu être localisé par les secours et privé de tout moyen de communication, ils semblent condamnés à prendre leur mal en patience et à se serrer les coudes pour survivre au cœur de cette étendue enneigée, alors même que les secours ont abandonné leurs recherches. Quitte à se nourrir de ce qu’ils trouvent, en cédant à une pulsion de vie qui les mènera malgré eux… au cannibalisme. Considéré à juste titre comme l’un des maîtres du cinéma fantastique espagnol depuis L’orphelinat (2007) et The Impossible (2012) qui l’ont rendu bankable à Hollywood, Juan Antonio Bayona tourne résolument le dos à tous les stéréotypes inhérents à son sujet, pourtant inspiré d’événements authentiques. Il préfère se focaliser sur les rapports psychologiques qui s’établissent entre ses protagonistes, en ne s’autorisant que quelques allusions délicates à ce tabou ultime qui consiste pour des humains à se nourrir de la chair de leurs semblables, même s’il s’agit ici d’une pure question de survie. Jamais non plus il ne juge ces naufragés dont il a pris soin de montrer l’esprit conquérant et ripailleur en préambule. Il observe en revanche attentivement leur lente descente aux enfers et la déchéance inéluctable qui va de pair, en égrenant les jours et les morts comme un lent calvaire. Jusqu’au moment où deux d’entre eux se résolvent à braver les conditions climatiques épouvantables pour aller chercher du secours.





Le sujet du Cercle des neiges n’est pas inédit au cinéma. Il a même donné lieu auparavant à deux autres films plutôt sensationnels où le facteur humain était volontiers réduit à la portion congrue, Survivre (1976) de René Cardona et Les survivants (1993) de Frank Marshall, ainsi qu’à deux documentaires, Naufragés des Andes (2007) et En vie : survivre au crash des Andes (2010) qui contextualisent cette tragédie. Dans la version de Bayona, inspirée d’un livre de Pablo Vierci, paru en 2009, passé l’accident d’avion vécu de l’intérieur dans une insouciance terrifiante par des joyeux lurons qui prêtent à peine attention aux consignes de sécurité et ne croient vraiment au crash qu’une fois qu’il s’est produit, le réalisateur se concentre sur la personnalité des rescapés et leur évolution psychologique au fil de ces deux mois de calvaire où ils voient disparaître certains de leurs compagnons de voyage. Un compte à rebours tragique qui évite le pathos et souligne la fragilité de l’homme face aux éléments dont une avalanche meurtrière. La mise en scène privilégie le réalisme et s’interdit de favoriser certains personnages par rapport à d’autres, comme il est d’usage dans le cinéma catastrophe hollywoodien, la distribution s’étant attachée à privilégier les interprètes les plus conformes à leurs rôles plutôt que des vedettes susceptibles d’attirer le grand public. Le cercle des neiges a été présenté en clôture hors compétition à la Mostra de Venise.

Jean-Philippe Guerand






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