Film français de Stéphane Marchetti (2023), avec Florence Loiret-Caille, Saabo Balde, Jonathan Couzinié, Aurélia Petit, Marie Narbonne, Philippe Frécon, Souleymane Toure… 1h32. Sortie le 17 janvier 2024.
Si le cinéma est bien souvent le reflet du monde qui nous entoure, il est des thèmes qui le hantent jusqu’à l’obsession dont celui des migrants. Il ne se passe plus un mois sans qu’un film témoigne de ce monde actuel où les populations prennent la route de l’exil pour échapper à la guerre, au réchauffement climatique et à tant d’autres malheurs. Une situation que la pandémie de Covid-19 et les confinements successifs a interrompu comme dans le jeu “Un deux trois soleil”, mais qui a repris de plus belle depuis lors. Il y a tout juste deux semaines, Matteo Garrone suivait le calvaire des Africains en route pour l’Europe dans Moi, capitaine. Dans tout juste un mois, on découvrira un autre film majeur couronné à la Mostra de Venise : Green Border d’Agnieszka Holland. Des trajets Sud-Nord et Est-Ouest qui se croisent mais ne se ressemblent pas vraiment, même si on y retrouve ces passeurs qui prospèrent sur le dos des déracinés fragilisés par leur quête d’une terre d’accueil sinon d’un eldorado. C’est le cas du personnage principal de La tête froide, une fille paumée qui découvre un jour qu’elle peut arrondir ses fins de mois en véhiculant des migrants de part et d’autre de la frontière grâce à sa liaison avec un policier des frontières au fait des rondes de ses collègues. Le documentariste Stéphane Marchetti se concentre là en quelque sorte sur le dernier maillon de la chaîne, comme ont pu le faire avant lui Guillaume Renusson dans Les survivants et Émilie Frèche dans Les engagés, deux autres films récents situés dans les Alpes qui nous interpellent en tant que citoyens du monde.
Saabo Balde et Florence Loiret-Caille
La tête froide orchestre l’association diabolique d’une femme aux abois qui peine à acquitter le stationnement de sa caravane avec un migrant qui subsiste pour sa part grâce à la détresse de ses semblables. Vision fulgurante d’une misère endémique qui entretient un véritable système économique parallèle au sein duquel chacun trouve plus démuni que lui à exploiter. Un engrenage diabolique dont la vraisemblance ne fait aucun doute, mais qui sert surtout ici à alimenter une intrigue mélodramatique où tout semble scellé à l’avance. Avec en son centre cette femme qui passe son temps à attendre et à s’adapter au rythme des autres, comme dépossédée de son libre-arbitre par ses erreurs de jugements et ses mauvais choix. Un rôle illuminé par la composition de Florence Loiret-Caille, actrice qui a toujours brillé par sa singularité et son exigence, jamais aussi à son aise que lorsqu’elle doit incarner des personnages cabossés chez qui l’émotion est à fleur de peau. Le rôle que lui confie Stéphane Marchetti s’inscrit dans la lignée de ceux qu’elle a pu tenir par le passé chez des auteurs tels que Claire Denis, Sólveig Anpach et Jérôme Bonnell dont elle fut l’interprète à plusieurs reprises. Sous le tragique sourd toujours une esquisse de rire jaune ou narquois conférant à ses rôles une épaisseur humaine qui doit autant à la composition de la comédienne qu’à sa nature profonde. Comme l’ivresse d’un vertige. Elle est la raison la plus légitime de découvrir cette tranche de vie.
Jean-Philippe Guerand
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