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“Iron Claw” de Sean Durkin



The Iron Claw Film britanno-américain de Sean Durkin (2023), avec Zac Efron, Harris Dickinson, Jeremy Allen White, Stanley Simons, Holt McCallany, Maura Tierney, Lily James, Maxwell Jacob Friedman, Aaron Dean Eisenberg, Michael Harney, Cazzey Louis Cereghino, Kevin Anton, Michael Papajohn… 2h13. Sortie le 24 janvier 2024.



Zac Efron



L’Amérique dite profonde semble avoir déserté les écrans. Comme si le cinéma redoutait de renvoyer des reflets désobligeants à cette frange de la population des États-Unis qui a nourri les troupes trumpistes et engendré un schisme aussi inquiétant que celui qui a déclenché la Guerre de Sécession. Iron Claw apparaît en ce sens comme un Biopic atypique qui s’attache à une famille de catcheurs dans l’Amérique rurale des années 80. Une tribu insolite sur laquelle règne un Pater Familias autoritaire qui projette sur ses fils les espérances qu’il n’est lui-même pas parvenu à réaliser, malgré la prise d’étranglement maison devenue sa signature sur le ring : la griffe de fer. Fritz von Erich a été suivi dans cette voie par cinq de ses six fils… tous sauf un étant morts avant lui et trois d’entre eux s’étant suicidés. C’est dire combien le destin de ces combattants représente quelque chose de l’Amérique traditionnelle, à travers ce spectacle qu’est le catch dont les combattants sont autant des sportifs que des comédiens qui interprètent un scénario préétabli en accentuant leurs coups jusqu’à la pantomime. C’est sans doute ce qui explique que le cinéma se soit aussi peu intéressé jusqu’à présent à cet ancêtre des jeux de rôles, le moindre geste y étant le fruit d’une véritable chorégraphie à laquelle communient les foules comme à une version moderne des jeux du cirque. Au-delà de son sujet, qui est surtout le portrait d’une famille sous la coupe d’un despote vaniteux où chacun des héritiers cherche désespérément sa place, Iron Claw brille par sa reconstitution des années 80 dans un contexte au fond assez peu goûté par le cinéma.



Stanley Simons, Zac Efron

Jeremy Allen White et Harris Dickinson



Contrairement à la plupart des films consacrés au sport, celui-ci ne dépeint pas un itinéraire individuel ou collectif vers la gloire, mais plutôt une sorte de malédiction qui entrave des rêves au fond assez dérisoires et esquisse un tableau de mœurs plutôt cruel. On est ici aux antipodes de Rocky, dans un monde où le factice est roi et où l’illusion est le Graal dérisoire des catcheurs. Un défi dont se tire à merveille Sean Durkin dans son troisième long métrage après Martha Marcy May Marlene (2011) et The Nest (2019), primés respectivement à Sundance et à Deauville. Changement de registre total ici où il montre une sorte d’Amérique alternative qui peut paraître exotique à nos yeux d’Européens, alors même que la société traditionnelle qu’il dépeint trouve des échos dans la France des années 50 et 60 où Léon Zitrone et Roger Couderc commentaient avec ferveur les improbables combats de catch opposant l’Ange blanc au Bourreau de Béthune. Iron Claw est le portrait au vitriol des oubliés du cinéma hollywoodien : des gens accrochés à des pratiques désuètes qui se méfient du progrès et nourrissent les rangs de tout ce que l’Amérique compte de traditionnalistes et de réactionnaires. À travers eux, c’est évidemment de la société fracturée d’aujourd’hui que nous parle cette tranche de vie dans laquelle Zac Efron, Harris Dickinson et Jeremy Allen White troquent leurs emplois coutumiers de séducteurs pour des compositions saisissantes de ploucs pathétiques aux coiffures ringardes entraînés dans cette sarabande des pantins.

Jean-Philippe Guerand





Zac Efron

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