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“Foe” de Garth Davis



Film américano-britanno-australien de Garth Davis (2023), avec Saoirse Ronan, Paul Mescal, Aaron Pierre, Jordan Chodziesner, William Freeman, Jalen Ong, Patrick Williams, Goran D. Kleut, Michael M. Foster… 1h50. Mise en ligne sur Prime Video le 5 janvier 2024.



Saoirse Ronan et Paul Mescal



Le fin fond du Midwest américain déserté, en 2065. Chargée de remédier à tous les besoins d’une humanité confrontée à la surpopulation des grandes villes et à l’exode rural, l’intelligence artificielle est devenue en quelque sorte la panacée universelle. Un couple de néo-ruraux isolés reçoit la visite d’un mystérieux visiteur dépêché par les autorités afin de leur vanter les charmes d’un projet ambitieux présenté comme le remède à tous les problèmes : une planète de synthèse qui n’a plus besoin que de colons pour l’habiter et devenir une alternative crédible à la Terre. Le mari figure malgré lui sur la shortlist sélectionnée pour embarquer à bord d’une station spatiale à destination de ce nouveau monde en devenir. Or, il ne s’agit pas d’une invitation, mais d’une opération de conscription obligatoire qui menace la survie de ce couple fusionnel, avec à la clé deux ans d’une préparation intensive dont l’aboutissement passera par la création d’un clone à l’image de l’absent… Inspiré d’un best-seller de Iain Reid, le film de Garth Davis n’utilise la science-fiction que comme prétexte à un drame psychologique sur une déshumanisation programmée. Il ne comporte que très peu d’effets spéciaux, adopte une posture minimaliste (on ne sort qu’à de rares occasions de la maison du couple) et se concentre autour des relations humaines percutées par des perspectives qui relèvent d’une cause nationale sinon planétaire.



Saoirse Ronan



Foe marque la rencontre de deux acteurs exceptionnels : Saoirse Ronan dont les choix manifestent depuis ses débuts une exigence hors du commun et Paul Mescal révélé dans le rôle du père déchirant d’Aftersun et considéré aujourd’hui comme l’un des plus sûrs espoirs de sa génération. Leur alchimie s’avère miraculeuse face à la menace qu’incarne l’intrus chargé de les conditionner qu’incarne Aaron Pierre, lequel joue avec perversité de leurs différends afin d’asseoir sa domination sur eux. Un discours effrayant par la vision qu’il esquisse d’un monde de demain contraint de se dupliquer pour exposer des cobayes à des dangers indéterminés. Une prophétie particulièrement noire par la soumission qu’elle implique de la part d’une population conditionnée pour subir mais expurgée de son libre-arbitre. Avec à la clé le salut utopique de toute une civilisation. Choisi par Jane Campion pour réaliser quatre épisodes de sa série culte Top of the Lake, le réalisateur australien Garth Davis a affirmé son talent sur des registres très différents avec Lion (2016) puis Marie Madeleine (2018). Il imprime ici sa marque en s’attachant avant tout au facteur humain de son sujet, en jouant sur le contraste qui existe entre son cadre rural, avec cet abattoir qui emploie le mari et ce diner sorti d’une peinture d’Edward Hopper où son épouse est serveuse, et l’esquisse d’une conquête intersidérale seulement évoquée par bribes. Une vision plutôt sombre qui prend en quelque sorte le contrepied du fameux Meilleur des mondes d’Aldous Huxley en s’inscrivant dans le cadre immuable d’une maison de famille où rien n’a changé en deux siècles. Comme si le passé pouvait constituer un contrepoison efficace aux menaces dont est porteur le futur…

Jean-Philippe Guerand







Paul Mescal

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