Documentaire français de Luc Benito (2023), avec Luc Benito, François Morel, Charles Berling, Olivier Césaro, Jacques Maury, Antoine Sahler, Cécile Becquerelle, Serge Bromberg, Pierre Philippe… 1h38. Sortie le 24 janvier 2024.
Charles Berling
Tous les films ne laissent pas libres et égaux. Loin de là. La richesse de l’actualité ne doit pas étouffer dans l’œuf certaines initiatives audacieuses mais dotées de moyens de communication donc de médiatisation trop modestes. Tel est le cas du film consacré par Luc Benito à Félix Mayol, une figure légendaire du music-hall dont le nom est infiniment plus célèbre que son œuvre, même s’il pâtit d’une homophonie malheureuse avec celui du sculpteur Aristide Maillol. La ville de Toulon l’atteste aujourd’hui encore où son nom brille toujours dans quelques lieux emblématiques dont le stade municipal qui accueille les exploits de l’équipe de rugby locale et… un centre commercial. À l’orée du XXe siècle, brin de muguet à la boutonnière et houppette rousse préfigurant celle de Tintin et lançant une véritable mode, Mayol contribue à donner ses lettres de noblesse au café-concert en le faisant évoluer vers le music-hall. Imité et caricaturé jusqu’à l’extrême, il aligne les succès populaires et influence durablement la chanson française, de Maurice Chevalier à Charles Trent en passant par Mistinguett et Édith Piaf. Ce film façon puzzle nous en présente les pièces à conviction avec le concours de bon nombre de témoins passionnés dont les comédiens François Morel et Charles Berling ou les historiens du cinéma Serge Bromberg et Pierre Philippe, le chanteur ayant aussi fait l’acteur à plusieurs occasions dans de fameuses phonoscènes primitives synchronisées par disques qui constituent les ancêtres des clips.
François Morel et Antoine Sahler
Félix et moi, sur les traces du chanteur de Viens Poupoule ! souligne la modernité de cet artiste dont la célébrité a été telle qu’il a engendré une cohorte d’imitateurs, faute de pouvoir répondre lui-même à toutes les sollicitations dont il faisait l’objet, non seulement en France et dans son vaste empire colonial, mais partout dans le monde. Un artiste total dont les tubes ont traversé plus d’un siècle et qui a enduré les affres de la rumeur quant à son homosexualité supposée. Ce portrait aborde les multiples facettes de son sujet et souligne sa modernité à travers des reprises modernes de ses rengaines aux paroles toujours percutantes et aux rythmes entraînants. Pour sa première réalisation, l’exploitant et organisateur de festival Luc Benito (connu comme musicien sous le nom de Didier Six) s’est donné les moyens de ses ambitions et aborde Mayol sous divers angles, en palliant le manque d’images en mouvement de la Belle Époque par des séquences où les témoignages de ses admirateurs et des spécialistes sont ponctués de moments recomposés par des interprètes. L’anecdotique y tutoie l’éternité dans un portrait chaleureux et inventif qui rend justice à ce géant oublié dont les chansons sont entrées si profondément dans notre patrimoine populaire qu’on a fini par en oublier l’origine. Ce film pétillant de malice entérine la résurrection essentielle et tonique d’un géant en mettant un visage sur sa voix et sur son nom.
Jean-Philippe Guerand
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