Film français de Martin Provost (2023), avec Cécile de France, Vincent Macaigne, Stacy Martin, Anouk Grinberg, André Marcon, Grégoire Leprince-Ringuet, Hélène Alexandridis, Peter Van den Begin, Yveline Hamon, César Domboy, Jean-Christophe Bretignière, Philippe Richardin, Stanislas Merhar… 2h02. Sortie le 10 janvier 2024.
Cécile de France et Stacy Martin
La peinture est un art qu’il est préférable d’avoir pratiqué pour en saisir parfaitement le geste, comme a pu en attester Maurice Pialat filmant au plus juste l’artiste dans Van Gogh (1991). Pour avoir immortalisé quant à lui une artiste autodidacte oubliée dans Séraphine (2008), avec sept César à la clé, Martin Provost s’attache dans son nouveau film à un couple insolite. Bonnard, Pierre et Marthe a l’insigne mérite de rendre la place qu’il mérite à celui qu’on surnommait “le peintre du bonheur” en réhabilitant sa compagne dont sa propre notoriété a sans doute occulté pour une bonne part le talent, alors même qu’il l’a lui-même représentée dans plus d’un tiers de ses œuvres. L’approche du film consiste à mettre en miroir l’influence de cette vie conjugale parfois volcanique avec une œuvre à la croisée de l’impressionnisme et de l’abstraction dont les principaux représentants formeront le fameux groupe des Nabis. Martin Provost associe pour l’occasion deux acteurs à la sensibilité exacerbée : Vincent Macaigne et Cécile de France, tour à tour touchants de vulnérabilité et charmants de maladresse sous l’œil attentif de ce cinéaste discret qui revendique une sensibilité féminine. Avec Stacy Martin dans le rôle de celle qui viendra troubler la complicité fusionnelle de ce couple toujours prompt à exploser.
Sur le plan purement cinématographique, Martin Provost assume et même revendique un classicisme qu’on aurait tort de confondre avec de l’académisme. Il accorde la primauté au scénario avant de s’en remettre à ses interprètes, sans chercher à épater la galerie outre mesure. Bonnard, Pierre et Marthe est aussi le tableau d’un demi-siècle faussement insouciant ponctué de deux guerres mondiales dont certains intermèdes bucoliques semblent tout droit sortis d’une toile impressionniste, avec ce décor de rêve que constitue la maison du couple bordée d’une rivière propice aux baignades. La photo magnifique de Guillaume Schiffman accentue cette impression, sans jamais chercher pour autant à épouser le style du peintre caractérisé par l’usage de couleurs vives. Le réalisateur signe un film délibérément à l’écart des modes qui est aussi la chronique d’une passion ponctuée d’orages entre artiste et modèle qui doit composer au fil du temps avec une rivalité artistique intime sinon clandestine. Féministe convaincu, Provost y met en évidence avec une grande délicatesse le poids étouffant du patriarcat dans un milieu artistique qui assignait ces dames aux rôles ingrats de modèles ou de muses, à défaut de les laisser exprimer leur talent. Telle est la singularité de cette chronique qui fait l’effet d’un rayon de soleil au cœur de la morosité hivernale.
Jean-Philippe Guerand
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