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“Winter Break” d’Alexander Payne



The Holdovers Film américain d’Alexander Payne (2023), avec Paul Giamatti, Dominic Sessa, Da’vine Joy Randolph, Carrie Preston, Brady Hepner, Ian Dolley, Jim Kaplan, Michael Provost, Andrew Garman, Naheem Garcia, Tate Donovan, Gillian Vigman, Stephen Thorne… 2h13. Sortie le 13 décembre 2023.



Da’vine Joy Randolph, Paul Giamatti et Dominic Sessa



Alexander Payne fait partie de ces réalisateurs américains qui doivent l’essentiel de leur réputation à leur public international et qu’on qualifie parfois volontiers de cinéastes indépendants pour souligner qu’ils appartiennent à une espèce protégée des cinéphiles purs et durs. Qu’il s’attache à des amis embarqués sur la route des vins de la Napa Valley (dans Sideways) ou se concentre sur des hommes confrontés au grand âge (Jack Nicholson dans Monsieur Schmidt et Bruce Dern dans Nebraska), l’auteur de The Descendants est aussi un chantre de l’Amérique profonde qui cultive sa différence à l’écart de New York et de Los Angeles. Il exalte volontiers une nostalgie diffuse qui va souvent de pair avec un éloge du savoir sous toutes ses formes. L’anti-héros de Winter Break est d’ailleurs un professeur d’histoire antique grincheux et droit dans ses bottes que son statut de vieux garçon condamne à assurer la surveillance d’un groupe de pensionnaires confinés dans leur lycée chic de la Nouvelle-Angleterre pendant les vacances de Noël. Un intellectuel surnommé cruellement Neunœil par les élèves qui se fait une très haute idée de ses responsabilités mais se heurte au caractère velléitaire des adolescents. Précisons que l’affaire se déroule à l’orée des années 70 et que Payne met tout en œuvre pour nous donner l’impression de voir un film réellement tourné à cette époque. À commencer par le générique de début qui s’offre la coquetterie d’un logo Universal vintage et utilise un lettrage lui aussi garanti authentique. Si références il y a, il faut les chercher ici du côté de Bob Rafelson ou de Mike Nichols, ces cinéastes du Nouvel Hollywood qui accordaient la primauté au langage tout en se méfiant des mots.



Dominic Sessa et Paul Giamatti



Winter Break s’inscrit profondément dans cette époque post-soixante-huitarde où le bourbier de la guerre du Vietnam touche les Américains dans leur chair, à l’instar de cette cuisinière de couleur du lycée qui porte le deuil de son fils unique. À son habitude. Alexander Payne excelle dans la description des relations psychologiques de ses personnages en allant bien au-delà des apparences et en montrant à quel point ils méritent tous notre compassion pour des raisons qui n’appartiennent qu’à eux. Il se hasarde peu à peu dans leur jardin secret et signe un film d’apprentissage où rien n’est jamais traité à la légère, de la solitude de ce prof qui doit composer avec une matière surannée et une érudition atypique, à la situation de ces gosses de riches dont les familles ont laissé à d’autres le soin de les élever et qui manquent de l’essentiel : l’affection. Avec en contrepoint cette femme meurtrie dans sa chair et condamnée à taire sa douleur à une époque où la conscription était réservée aux plus modestes. Cette étude de mœurs bouleversantes qu’on devine empreintes de touches autobiographiques ténues occupe chez son auteur trop discret une place équivalente à Licorice Pizza pour la Côte Ouest de Paul Thomas Anderson et Armageddon Time pour la Côte Est de James Gray, sans jamais chercher à exalter ces années 70 où Payne était encore un pré-adolescent du Nebraska. Face au toujours impeccable Paul Giamatti, deux révélations : Dominic Sessa dont c’est la première apparition à l’écran et Da’vine Joy Randolph révélée par le biopic Dolemite is My Name. Ils sont indissociables du charme insidieux que distille ce film.

Jean-Philippe Guerand





Paul Giamatti

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