Accéder au contenu principal

“The Survival of Kindness” de Rolf de Heer



Film australien de Rolf de Heer (2022), avec Mwajemi Hussein, Deepthi Sharma, Darsan Sharma, Natasha Wanganeen, Gary Waddell, Craig Behenna… 1h36. Sortie le 13 décembre 2023.



Mwajemi Hussein



Une femme enfermée dans une cage métallique posée sur une remorque au milieu de nulle part. En l’absence de geôliers, elle parvient à s’échapper. Ce monde mystérieux ni daté ni situé géographiquement est peuplé d’hommes en armes qui procèdent à des battues et à des exécutions sommaires en communiquant dans un sabir constitué de borborygmes qui achève de nous égarer. Rompu à tous les défis, le cinéaste australien d’origine néerlandaise Rolf de Heer ne fait jamais rien comme tout le monde, ainsi que l’attestent les nombreux films dans lesquels il a donné le beau rôle aux aborigènes, de Dingo (1991) à 10 canoës, 150 lances et 3 épouses (2006). Pas plus qu’il ne se repose sur ses lauriers en déclinant les mêmes recettes à l’infini. L’auteur de Bad Boy Bubby (1993) et de La chambre tranquille (1996) fait partie de ces créateurs hors normes qui aiment s’assigner des défis. Celui de The Survival of Kindness (littéralement La survie de la gentillesse) réside dans sa volonté de se situer résolument hors du temps et de l’espace, dans un univers singulier dont il n’est pas possible d’identifier s’il appartient au passé, au présent ou au futur, ni même dans quel univers il s’inscrit. L’objectif du cinéaste est de nous entraîner dans une autre dimension où les humains se comportent comme des êtres primitifs mus par leurs instincts et où l’enfer… c’est les autres. Le tout vu à travers le regard d’une femme de couleur qui est de toute évidence du camp des opprimés, mais se refuse à entrer dans cette spirale infernale qui transforme parfois les victimes en bourreaux pour tenter de sauver leur peau dans un ultime élan de survie.



Mwajemi Hussein



The Survival of Kindness réussit la gageure d’instaurer ses propres codes narratifs et de s’y tenir, en assumant sa singularité au point d’atteindre à l’universel. Rolf de Heer signe là une sorte de film-monde en instaurant ses propres repères et en évacuant les codes élémentaires du cinéma. Il choisit pour cela de se passer de langage intelligible et d’annihiler tous nos repères pour nous entraîner dans un ailleurs qui apparaît paradoxalement familier, tant ses protagonistes y perpétuent des comportements primitifs, à commencer par la loi du talion et le droit du plus fort dans une escalade absurde. Cette histoire simple se décline en outre sur plusieurs degrés en mettant en perspective notre société et les dérives qui pourraient la menacer au cas où elle soit en proie à un ensauvagement massif. Le film cultive d’autant plus son mystère qu’il pose davantage de questions qu’il n’apporte de réponses. Il évacue ainsi la tentation de la morale inhérente à son propos, nous laissant décider si la société qu’il décrit est antérieure ou postérieure à la nôtre et même si elle est terrestre ou extra-terrestre. Une volonté de brouiller les pistes pour en suggérer d’autres qui résonne autant comme une prophétie que comme un constat, mais ne se rattache pas vraiment non plus à la science-fiction, tant les sentiments qui s’y expriment restent profondément humains. Avec un dénouement qui ressemble à un autre début et semble boucler une boucle aussi absurde que désespérée. Au spectateur d’en remplir les pointillés…

Jean-Philippe Guerand







Mwajemi Hussein

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract