Documentaire français d’Oury Milshtein (2023), avec Oury Milshtein, Enrico Macias, Émilie Caen, Jocya Ghrenassia, Bénédicte Darblay, Alice Milshtein, Olga Milshtein, Elyot Milshtein, Symon Milshtein, Léah Milshtein… 1h19. Sortie le 20 décembre 2023.
Enrico Macias et ses petits-fils
Voici un exercice qui se hasarde parfois au comble de l’intime, quitte à mettre le spectateur dans une situation parfois très inconfortable aux limites de l’indécence sinon du voyeurisme. Avec Pour ton mariage, Oury Milshtein pousse le curseur très loin. Sous prétexte de raconter son union initiale avec la fille d’Enrico Macias et la façon dont le chanteur s’est approprié ces noces baroques pour répondre à la demande de la presse sur papier glacé, comme on disait à l’époque, il se livre à une confession volontiers impudique sur une vie cahotique, au fil de multiples réunions de famille qui tournent à la thérapie de groupe. Il y devise alors avec ses ex-épouses, enfants et petits-enfants, à l’exception de deux absentes dont l’influence demeure considérable : la photographe Kate Barry disparue en 2013, dont le souvenir n’est qu’évoqué, et sa fille Léah, terrassée quant à elle par la maladie à 14 ans et dont les mots et les images continuent à le hanter. Si ce film possède un mérite insigne, c’est d’assumer sa franchise. Producteur de renom, Oury Milshtein semble s’y être désaisi de son surmoi, au point de prendre le risque de paraître parfois antipathique par sa façon d’assumer son nombrilisme. Jusqu’à donner l’impression au spectateur d’être un enfant réveillé par un cauchemar qui surprend ses parents en entrebâillant la porte de leur chambre et restera traumatisée sa vie durant par la vision de l’acte initial.
C’est parce qu’il choisit de transcender tabous et interdits qu’Oury Milshtein finit par nous rallier à sa cause. Victime d’un beau-père trop envahissant qui illustre jusqu’à l’absurde l’incompatibilité fondamentale des cultures ashkénazes et sépharades, entre introspection cérébrale et exhibitionnisme décomplexé, il produit ses arguments avant de se livrer sans complaisance. Sans craindre non plus de déranger voire de choquer. Lui le petit Parisien envoyé dans un kibboutz israélien par des parents absents : un père absorbé par sa peinture et une mère capable de proférer les pires énormités sans se préoccuper de leurs conséquences. Avec en filigrane une analyse sans fin qui lui a permis d’affronter plus mal que bien les aléas de la vie, lui qui a mis enceintes deux femmes en même temps avant de réunir ses compagnes, ses enfants et petits-enfants dans un élan de nombrilisme aussi assumé que masochiste pour des repas de famille aux allures de règlements de comptes. Pour ton mariage est un film qui assume ses multiples paradoxes avec une grande probié et dont le réalisateur ne cherche jamais à se réfugier derrière d’illusoires circonstances atténuantes. Pas plus qu’il ne se complaît dans le pathos ou les lamentations. Il préfère perpétuer cette tradition de l’humour juif dont il est l’héritier malgré lui, aussi laïc s’affirme-t-il, à l’image de ces visites qu’il effectue sur la tombe de son psy, comme pour renouer post mortem ce dialogue interrompu qui lui faisait tant de bien. Aussi impudique puisse-t-il paraître, ce film témoigne d’un courage et d’une sincérité qui forcent l’admiration, sans pour autant jamais chercher à épargner outre mesure son personnage principal.
Jean-Philippe Guerand
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