Robot Dreams Film d’animation hispano-français de Pablo Berger (2023) 1h42. Sortie le 27 décembre 2023.
Les amoureux fous du cinéma sont de plus en plus rares parmi les cinéastes qui se contentent de plus en plus souvent d’appliquer sagement des recettes pour en tirer les bénéfices qui leur permettront de poursuivre leur carrière selon un plan préétabli. L’industrie a peu à peu évacué les aventuriers dont on espérait qu’ils viendraient à croître et à se multiplier en raison de la vulgarisation des moyens engendrée par le numérique. C’était sous-estimer le caractère sacré du septième art qui fonctionne un peu comme une famille de la Mafia italienne avec sa machine à éliminer les intrus, c’est-à-dire ceux qui n’alimentent pas ou trop peu la machine. Pablo Berger constitue en cela cette fameuse exception dont on prétend parfois par pure facilité qu’elle confirme la règle. C’est grâce au succès de son premier court métrage, Mamá (1988) qu’il peut entreprendre des études de… cinéma et dans le cadre de ce cursus qu’il en tourne un autre, Truth and Beauty (1990), qui est nommé aux College Emmy Awards. Son premier long, Torremolinos 73 (2003), qui évoque le puritanisme de la période franquiste, est suivi par un projet fou : Blancanieves, mélo muet en noir et blanc inspiré de Blanche-Neige qui se déroule dans l’Andalousie des années 1920 et décroche dix Goyas. Suit Abracadabra (2017), une histoire de fantôme madrilène au succès plus mitigé. Et puis, il revient aujourd’hui avec un nouveau tour de force : un film d’animation qui s’appuie sur un roman graphique tout en rondeurs (et en noir et blanc) de Sara Varon pour raconter l’amitié sans paroles d’un chien de Brooklyn et d’un robot qu’il a monté de toutes pièces dans son salon.
Mon ami robot est un film universel qui s’adresse au public le plus large possible grâce à un propos résolument à contre-courant qui distille une vision anthropomorphique du monde en conférant à un chien une incroyable humanité et à une capacité identification qui lui vaut de rompre sa solitude en jetant à son tour son dévolu sur un animal de compagnie fabriqué de toutes pièces. La réussite de cette histoire simple réalisée de façon à être aussi intelligible que possible réside dans la fraîcheur de son graphisme hors du temps qui revendique sa filiation esthétique avec la ligne claire, en illustrant des sentiments aussi fondamentaux que l’amitié et la fidélité sans jamais s’en remettre à la parole. Comme pour nous prendre à témoin d’un monde parallèle qui reproduit le nôtre, mais se passe très bien de toute intrusion humaine. On distinguera dans ce film d’animation où l’affiche du Yoyo de Pierre Étaix décore la chambre du héros une parabole sur la solitude du citoyen noyé dans l’anonymat qui jette son dévolu sur un compagnon de synthèse devenu le réceptacle de ses espoirs comme de ses vœux les plus secrets. Un véritable doudou de métal animé de bonnes intentions mais sensible à la rouille qui arbore un sourire énigmatique. Bref, le lointain cousin d’un des personnages les plus attachants imaginés par le cinéma d’animation de ces dernières décennies : l’inoubliable Géant de fer de Brad Bird. Avec ce film une fois de plus atypique, qui amuse autant qu’il émeut, en restituant le groove musical du début des années 80 à l’usage des connaisseurs, Pablo Berger confirme une conception singulière du cinéma qui consiste à ne jamais se répéter et à miser sur les ressources les plus extrêmes du septième art. Mon ami robot constitue en ce sens un pur enchantement.
Jean-Philippe Guerand
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