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“Les colons” de Felipe Gálvez Haberle



Los colonos Film chilo-argentino-franco-britanno-taïwano-dano-suédo-américain de Felipe Gálvez Haberle (2023), avec Sam Spruell, Alfredo Castro, Mariano Llinás, Marcelo Alonso, Benjamin Westfall, Luis Machin, Agustin Rittano, Camilo Arancibia, Mark Stanley, Mishell Guaña… 1h37. Sortie le 20 décembre 2023.



Alfredo Castro



Certains pays ne s’emparent que tardivement de leur patrimoine, jusqu’alors abandonné à des nations plus riches pour des raisons à la fois pécuniaires et artistiques qui ont influé sur l’orientation de leur traitement. L’histoire de l’Amérique Latine reste ainsi pour l’essentiel à raconter par elle-même. Tel est précisément le propos de Felipe Gálvez Haberle dans son premier long métrage financé par pas moins de huit pays. Les colons nous transporte en effet sur la Terre de Feu à l’aube du XXe siècle où un riche propriétaire espagnol dépêche trois émissaires chargés de déposséder les autochtones de leurs propriétés afin d’offrir au Chili un accès à l’Océan Atlantique susceptible de favoriser ses échanges commerciaux. Un ancien combattant britannique de la guerre des Boers et un mercenaire américain sont chargés de remplir cette mission de colonisation forcée sous le regard impuissant de leur guide local, un jeune métis chilien qui assiste à la spoliation de son peuple chassé de ses terres. Ce film épique s’est donné les moyens de ses ambitions et montre enfin ce que le cinéma n’a que rarement dépeint auparavant : le revers le plus sombre de la colonisation et la mise en place de l’impérialisme conquérant. Une razzia dont les effets collatéraux passent par l’extermination d’une tribu d’Indiens Onas dénoncée plus tard aux autorités.



Mishell Guaña



À cheval sur deux époques séparées d’une vingtaine d’années où le crime n’engendre pas le châtiment attendu, Les colons s’appuie sur des faits authentiques, mais adopte à dessein le point de vue de ceux dont on affirme que ce sont eux à qui revient la responsabilité d’écrire l’histoire : les vainqueurs. À travers la chronique d’un génocide demeuré impuni, le film exhume une réalité peu reluisante comme la colonisation en a beaucoup charriées et des moins connues. Il adopte pour cela la forme de la fresque et s’inscrit quelque part entre Vera Cruz de Robert Aldrich et Fitzcarraldo de Werner Herzog, certaines scènes s’avérant d’une violence insoutenable à l’authenticité attestée. Récompensé par le jury critique de la Fipresci dans le cadre de la section cannoise Un certain regard, le premier long métrage de bruit et de fureur de Felipe Gálvez Haberle lève le voile sur l’un des aspects les moins glorieux d’une histoire largement ignorée. Il entrouvre aussi la porte à l’exhumation d’une mémoire collective trop longtemps enfouie, seule à même d’aider les blessures du passé à cicatriser et à rendre sa noblesse à un peuple amputé de ses souvenirs les moins glorieux. Une démarche nécessaire qui passe aussi ici par une contribution artistique ambitieuse où l’audace des clairs-obscurs du chef opérateur chilien Simone d’Arcangelo exalte la splendeur des décors naturels et où la musique du compositeur français Harry Allouche amplifie la force d’évocation des images en conférant au film la puissance d’une fresque baignée d’un souffle enivrant d’authenticité.

Jean-Philippe Guerand







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