Leave the World Behind Film américain de Sam Esmail (2023), avec Julia Roberts, Mahershala Ali, Ethan Hawke, Myha’la Herrold, Charlie Evans, Kevin Bacon, Farrah Mackenzie, Alexis Rae Forlenza, Vanessa Aspillaga, Josh Drennen, Erica Cho, Orli Gottesman… 2h18. Mise en ligne sur Netflix le 8 décembre 2023.
Ethan Hawke et Julia Roberts
Dans la période hautement anxiogène que nous vivons où le réchauffement climatique doit rivaliser avec les guerres sans fin, il est paradoxalement rassurant de se faire peur pour exorciser les menaces de la réalité. C’est ce que propose le deuxième long métrage de Sam Esmail, ci-devant concepteur de la série culte Mr. Robot, produit pour l’occasion par… Michelle et Barack Obama ! Surmenée et au bord d’un burnout qui l’incite à haïr tous les autres, Amanda décide d’emmener son mari et ses deux enfants pour quelques jours de vacances dans une maison de rêve qu’elle a réservée sur la presqu’île de Long Island. Jusqu’au moment où débarquent le maître des lieux et sa fille… en quête d’un endroit où dormir. Le monde après nous invite à une expérience particulièrement intense où les dérèglements les plus surprenants se manifestent sans qu’il soit possible d’en identifier les origines. Tout simplement parce que les communications sont coupées et que le monde extérieur devient aussi inaccessible qu’il pouvait l’être il y a seulement un demi-siècle. Chacun de ces six personnages contraints de cohabiter passe ces événements au crible de ses propres préoccupations. Il y a quelque chose de la paranoïa de la série Lost dans ce revival actualisé des dix plaies d’Égypte évoquées dans le Livre de l’Exode où les événements les plus surprenants se succèdent sans explication rationnelle. À travers le personnage de prévisionniste superbement incarné par Mahershala Ali (doublement oscarisé pour Moonlight en 2017, puis Green Book : Sur les routes du Sud en 2019), Sam Esmail matérialise habilement nos pires hantises en revisitant l’Apocalypse à travers le prisme de spéculations boursières aux pouvoirs cabalistiques.
Mahershala Ali, Myha’la Herrold
Julia Roberts et Ethan Hawke
La virtuosité du film scandé par la musique angoissante à souhait de Mac Quayle réside dans l’habileté avec laquelle il réussit à confronter la cohabitation forcée de ses protagonistes à une surenchère de phénomènes irrationnels. Avec cette bonne vieille rengaine hollywoodienne qui veut que l’unité familiale constitue systématiquement le plus sûr rempart contre les pires désordres du monde. Sam Esmail excelle dans la caractérisation de ces personnages empruntés au troisième roman de Rumaan Alam. Julia Roberts campe ainsi une mère de famille surmenée jusqu’à la misanthropie, face à Ethan Hawke en mari plutôt effacé, une adolescente obsédée par la série Friends et un jeune homme qui exerce sa libido sur la fille de leurs hôtes. Avec aussi le trop rare Kevin Bacon en survivaliste. Le monde après nous synthétise les phobies et les hantises les mieux partagées en décrivant un dérèglement du monde inéluctable face auquel n’importe qui est impuissant. Ne serait-ce que parce qu’avec la neutralisation des moyens de communication, le chaos s’avère insurmontable. La mise en scène de Sam Esmail s’adapte en quelque sorte aux circonstances et ponctue çà et là cette escalade d’angles singuliers qui contribuent à accompagner l’angoisse exponentielle, qu’il s’agisse de perspectives verticales cadrées à l’aide de drones ou de plans cassés qui illustrent le dérèglement ambiant. Face à une actualité qui prête de plus en plus rarement à l’optimisme, cette vision désabusée d’un monde en sursis dont les animaux deviennent les oracles nous propose une expérience extrême comme les affectionne Roland Emmerich, en veillant en permanence à accorder la primauté au facteur humain. Reste à savoir si ce thriller à haute tension relève davantage de la science-fiction ou de la prémonition. Mais ça fait parfois du bien de se faire du mal.
Jean-Philippe Guerand
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