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“Le grand magasin” de Yoshimi Itazu




Hokkyoku Hyakkaten no Concierge-san Film d’animation japonais de Yoshimi Itazu (2023), avec (voix) Natsumi Kawaida, Takeo Otsuka, Nobuo Tobita, Megumi Han, Natsumi Fujiwara, Eiji Yoshitomi, Jun Fukuyama… 1h10. Sortie le 6 décembre 2023.





Engagée à l’essai comme apprentie à la conciergerie du grand magasin Hoyakkaku, Akino se trouve confrontée aux demandes parfois délirantes d’une clientèle composée des espèces animales les plus diverses. Pour conserver son poste, elle va devoir faire assaut de dévouement et d’inventivité… Le réalisateur Yoshimi Itazu effectue des débuts fracassants avec ce premier long métrage d’animation tiré du roman graphique de Tsuchika Nishimura “La concierge du grand magasin”. Une réussite d’une intense poésie qui révèle en ce quadragénaire un digne successeur du grand Hayao Miyazaki sur un registre délibérément anthropomorphiste où affleurent des valeurs humanistes et égalitaires. Non seulement le film s’adresse à un public très vaste, mais il développe simultanément plusieurs niveaux de lecture en parallèle, sans dévier de son propos singulier. Face à une héroïne humaine (mais jamais trop humaine), il met en scène des animaux doués de raison et parfois aussi d’une bonne dose de déraison qui expriment les souhaits les plus excentriques propres à une clientèle convaincue que tout s’achète, du moment qu’on est prêt à y mettre le prix nécessaire, et abuse volontiers de son statut dans ce temple érigé au consumérisme où tout semble être une question de prix et où le maître mot est de faire plaisir.





Sur le plan esthétique, Le grand magasin relève de ce qu’on a coutume d’appeler la ligne claire : les formes y sont épurées et les couleurs pastel. C’est au sein de cette harmonie graphique que débarquent des espèces aux caractéristiques les plus extrêmes, illustrant cette bonne vieille antienne commerciale qui affirme que le client est roi. Il convient donc pour les employés de le satisfaire par tous les moyens, sans jamais souligner ses “différences” éventuelles… même s’il n’est pas évident de prendre un ascenseur pour une girafe. Cette parabole s’affirme donc aussi comme la réplique microcosmique de la société japonaise toute entière dont elle transpose les vertus cardinales à l’identique avec une malice réjouissante et un ton volontiers pince-sans-rire. Au point que l’on se prend à penser que cette chronique d’apprentissage subtile baignée de bons sentiments reproduit en modèle réduit le Japon traditionnel tel qu’a pu l’immortaliser un chantre du quotidien comme Yasujirō Ozu à travers de multiples détails. Avec en prime un altruisme écologiste assumé où l’humain semble aux petits soins pour ces animaux menacés d’extinction à brève échéance dont il assouvit symboliquement les désirs les plus extravagants pour soulager en douceur sa mauvaise conscience de chasseur dominateur. Bestiaire réjouissant d’où émergent un mammouth sculpteur, un loup solitaire, des paons fiers de leur plumage et même des visons de mer.





L’humour du film naît du contraste souvent savoureux qu’il établit entre le dévouement des employés chargés de vendre du rêve et des visiteurs qui n’ont pas toujours l’habitude de se côtoyer dans un monde qui n’est jamais vraiment à la bonne échelle. Yoshimi Itazu s’appuie volontiers sur ces disparités pour souligner à quel point le personnel doit s’adapter aux caractéristiques parfois extrêmes d’une clientèle traitée sur un pied d’égalité parfois difficile à prendre en compte, sans lui donner l’impression que sa morphologie peut parfois constituer un handicap rédhibitoire. Après tout, le client est roi. Une belle réflexion sur la normalité qui va de pair avec une ode vibrante à la tolérance. Ce film d’un peu plus d’une heure est un émerveillement qui révèle un artiste majeur sur un registre assez différent de ceux des maîtres déjà établis de l’animation japonaise : paisible et harmonieux. Avec en son cœur un vibrant plaidoyer en faveur de tous ces animaux menacés d’extinction à plus ou moins longue échéance qui nous renvoie à nos responsabilités en leur attribuant ici le beau rôle.

Jean-Philippe Guerand







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