Film français d’Erwan Le Duc (2023), avec Nahuel Pérez Biscayart, Céleste Brunnquell, Maud Wyler, Mohammed Louridi, Mercedes Dassy, Alexandre Steiger, Camille Rutherford… 1h31. Sortie le 20 décembre 2023.
Céleste Brunnquell et Nahuel Pérez Biscayart
Étienne a élevé sa fille seul. Jusqu’à ce moment inéluctable où elle s’apprête à le quitter pour poursuivre ses études et que surgit fugitivement du néant un visage qui ressemble à celui de cette mère indigne qui lui a donné la vie, mais s’est enfuie pour ne jamais plus réapparaître. L’occasion pour ceux qu’elle a abandonnés de régler leurs comptes avec le passé et affronter l’avenir avec sérénité… Remarqué pour son premier long métrage, Perdrix (2019), l’ex-journaliste du “Monde” Erwan Le Duc a réalisé la mini-série Sous contrôle diffusée sur Arte. Chez lui, les drames ne sont jamais des tragédies car l’humour et la poésie en constituent des composantes essentielles. C’est une fois de plus le cas dans La fille de son père où il s’attache à la complicité facétieuse de deux interprètes atypiques : le ludion inoubliable de 120 battements par minute, Nahuel Pérez Biscayart, qui ne tourne jamais pour ne rien dire, et Céleste Brunnquell, vue récemment dans le rôle-titre de Fifi. Leur complicité crève l’écran sous la houlette déjà experte d’un metteur en scène qui confirme sa maestria dans le domaine de la direction d’acteurs, sans jamais nous entraîner là où on l’attend. Avec toujours ce sens du coq-à-l’âne qui l’incite à pratiquer des ruptures inattendues et à transporter ses personnages dans une autre dimension. Il procède ici à partir d’un postulat inversé où l’homme qui assume l’éducation se double d’un adolescent attardé mais parfaitement conscient de ses responsabilités, face à une jeune fille qui a déjà tout compris des enjeux existentiels et a tiré un trait prématurément sur cette mère fantôme sans laquelle elle s’est épanouie.
Céleste Brunnquell et Mohammed Louridi
Présenté en clôture de la Semaine de la critique, La fille de son père réussit à aborder un sujet très sérieux sans la moindre solennité. Là où d’autres en auraient tiré un mélo voire une comédie, Erwan Le Duc joue systématiquement sur le contre-temps. Pas besoin chez lui de s’apitoyer sur ses personnages pour susciter l’émotion. Il préfère s’attacher à leurs maladresses et les faire sortir de leur trajectoire personnelle. Quitte à s’échapper parfois vers le burlesque le plus pur. Il y a quelque chose dans l’immaturité de Nahuel Pérez Biscayart qui évoque les pantomimes du trop méconnu Claude Melki, l’interprète fétiche du non moins oublié Jean-Daniel Pollet, son visage impassible renvoyant irrésistiblement au grand Buster Keaton dont il semblait être la réincarnation. Il faut le voir repeindre les lignes de son terrain de foot comme s’il s’agissait de sa chapelle Sixtine ou entasser les adolescents jusqu’à l’absurde dans sa voiture. Ce n’est pas non plus un hasard si Erwan Le Duc se réclame d’Aki Kaurismäki : il en manifeste l’élégance pince sans rire, en plaçant dans la bouche de ses jeunes interprètes une prose très châtiée, liaisons incluses, et en poétisant systématiquement presque tout ce qu’il filme. Cette comédie de caractères témoigne de la mise en place d’un style très personnel qui ne demande qu’à éclore et à se développer. Dans cet univers souvent singulier, rien n’est convenu et les sentiments les plus extrêmes engendrent parfois les réactions les plus inattendues, sans que la mise en scène ait besoin pour autant de se caler sur les stéréotypes de la comédie ou du drame. Tout simplement parce que dans le monde réel, il y a autant de gris que de blanc ou de noir. Comme dans ce cinéma inventif et multicolore où tout peut arriver.
Jean-Philippe Guerand
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