La Chimera Film italo-helvéto-français d’Alice Rohrwacher (2023), avec Josh O’Connor, Carol Duarte, Isabella Rossellini, Alba Rohrwacher, Vincenzo Nemolato, Lou Roy-Lecollinet, Giuliano Mantovani, Melchiorre Pala, Gian Piero Capretto, Ramona Fiorini, Yile Yara Vianello, Luca Gargiullo… 2h10. Sortie le 6 décembre 2023.
Josh O’Connor
Incorrigible rêveuse, la réalisatrice italienne Alice Rohrwacher milite inlassablement pour le droit au bonheur. Ses protagonistes sont volontiers des militants ou des activistes qui se battent pour rendre notre société meilleure en poursuivant un idéal altruiste. Avec aussi une propension à confronter des personnages issus de contextes différents sinon contradictoires. Dans Corpo Celeste (2011), elle mettait en scène une adolescente élevée en suisse qui revenait en Calabre. Dans Les merveilles (2014), couronné du Grand prix du Festival de Cannes, elle s’attachait à trois sœurs élevées dans un village et confrontées au monde moderne. Prix du meilleur scénario pour Heureux comme Lazzaro (2018), elle boucle une trilogie avec La Chimère met cette fois en scène le retour dans son village côtier de la Mer tyrrhénienne d’un jeune homme doué d’un don pour détecter les antiquités enfouies et ses retrouvailles avec une bande de pilleurs de tombes étrusques. Comme souvent chez cette cinéaste résolument à l’écart des modes, son intrigue est centrée autour d’un personnage hors du temps qu’on pourrait qualifier de candide, tant il semble détaché des préoccupations des autres protagonistes. En l’occurrence, ici, un éternel rêveur hanté par le souvenir de son amour perdu qui se rend à peine compte qu’il est manipulé. On reconnaîtra là le goût prononcé d’Alice Rohrwacher pour ces êtres décalés qu’elle défend face à un monde cynique et désabusé et qui semblent souvent atteints du fameux syndrome de Peter Pan et refusent par leur refus de grandir afin de préserver leur innocence.
Isabella Rossellini
La réalisatrice a trouvé un interprète idéal en la personne de Josh O’Connor, comédien britannique révélé par Seule la terre (2017) et loué pour sa composition mémorable en prince Charles mal-aimé dans la série The Crown. Elle mise sur sa capacité préservée à exprimer une innocence généralement incompatible avec la notoriété. Le film revendique une naïveté assumée où ces brigands deviennent malgré eux des justiciers de notre époque en affrontant des trafiquants organisés qui privilégient la valeur marchande de ces antiquités à leur splendeur esthétique. Comme une métaphore de la société de consommation et de ses dérives les plus mercantiles, face à des émules bohèmes de Robin des Bois et de ses joyeux compagnons. Ne pas en déduire pour autant que La Chimère est une fable moralisatrice, même si Alice Rohrwacher assume son goût pour les bons sentiments en un temps où ils ne sont pas vraiment très en vogue. Il émane de ce conte un peu anachronique une gentillesse et une sincérité qui forcent le respect et l’admiration. À travers ce conte d’aujourd’hui baigné de lumière par la directrice de la photo française Hélène Louvart, c’est bel et bien une radioscopie du monde qui nous est proposée, mais sans le bruit et la fureur qui nourrissent sa marche cahotique. Une invitation au rêve et à l’évasion où surgit une authentique fée : Isabella Rossellini, devenue trop rare au cinéma pour qu’on n’apprécie pas à sa juste mesure l’apparition en incarnation du passé dont personne ne conteste l’autorité morale. Comme une chimère humaine, en somme.
Jean-Philippe Guerand
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