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“Fremont” de Babak Jalali



Film américain de Babak Jalali (2023), avec Anaita Wali Zada, Jeremy Allen White, Gregg Turkington, Hilda Schmelling, Avis See-tho, Taban Ibraz, Timur Nusratty, Eddie Tang… 1h31. Sortie le 6 décembre 2023.



Anaita Wali Zada



Le thème des migrants est en passe de devenir aujourd’hui une litanie dont s’emparent les cinéastes du monde entier en l’accommodant à leur contexte spécifique. Au point d’endurer un risque mortifère : la banalisation. Né en Iran mais installé en Angleterre, Babak Jalali signe avec Fremont un quatrième film qui parle du déracinement sur un ton très singulier. Il choisit pour cela de s’attacher à une jeune Afghane à qui ses fonctions d’interprète pour l’armée américaine ont valu un visa providentiel pour les États-Unis où elle a entrepris de s’intégrer en travaillant comme ouvrière dans une fabrique de fortune cookies de San Francisco dirigée par des Chinois. Jusqu’au jour où elle obtient une promotion inattendue et se voit proposer de rédiger les textes laconiques que recèlent ces pâtisseries traditionnelles… Voici un film résolument indissociable de son interprète principale dont Babak Jalali cadre le visage avec insistance, à la façon d’un véritable paysage humain. Comme pour essayer de déchiffrer les sentiments les plus secrets et les pensées les mieux enfouies de cette déracinée qui dissimule son isolement derrière un sourire aussi énigmatique que celui d’une Joconde afghane dont on pressent qu’un rien pourrait l’amener à exploser. Face au bruit et à la fureur que charrient volontiers les films consacrés à l’immigration, cette comédie toute en retenue propose une alternative dénuée de misérabilisme artificiel autant que de sentimentalisme fabriqué qui lui a notamment valu un prix spécial du jury très mérité au festival de Deauville.



Anaita Wali Zada



Babak Jalali avoue son admiration pour Aki Kaurismäki et Roy Andersson, des cinéastes scandinaves dont il apprécie la délicatesse et le minimalisme au plus haut point et avec lesquels il partage une vision du monde dont l’épicentre reste l’être humain. Il trouve en cela une interprète providentielle en la personne d’Anaita Wali Zada, une non-professionnelle qui n’exprime aucun des sentiments liés habituellement à l’exil, mais possède une capacité de résilience qui lui permet de tourner une nouvelle page de son existence en manifestant une ouverture d’esprit peu commune. Deux qualités précieuses qui rendent son personnage particulièrement attachant et lui confèrent une capacité d’adaptation précieuse dans un environnement dominé par l’intolérance, que ce soit vis-à-vis de ses employeurs chinois avec lesquels elle se découvre des points communs, ne serait-ce que parce qu’eux aussi ont immigré, même si c’était il y a plusieurs générations, et qu’ils manifestent une discrétion commune qui confine à s’invisibiliser afin de mieux s’intégrer. Le symbole est puissant : il résonne comme un antidote à la tentation suicidaire du repli sur soi qu’incarnent les disciples nationalistes de Donald Trump. L’optimisme de Babak Jalali n’est pourtant jamais lénifiant. Il témoigne d’une sagesse qui fait chaud au cœur et où la poésie se niche parfois dans d’infimes détails… qu’on les remarque ou pas et quelle que soit l’interprétation qu’on en fasse. À l’image de ce cerf altier qui déboule sans crier gare et illustre la fraîcheur d’un film où tout peut arriver, à commencer par le bonheur. La démonstration qu’un Feel Good Movie peut aussi distiller des vérités pétries d’humanité sans une once de mièvrerie et faire rimer humour et amour.

Jean-Philippe Guerand






Jeremy Allen White

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