Film français d’Émilie Deleuze (2023), avec Lambert Wilson, Marina Hands, Laurent Poitrenaux, Lionel Dray, Anne-Lise Hamburger, Arthur Dupont, Maya Sanbar, Benoît Moret, Patricia Mazuy… 1h34. Sortie le 27 décembre 2023.
Lambert Wilson
Il y a quelques mois, Lambert Wilson débarquait en pleine montagne pour convaincre un ermite bougon de renouer avec sa vie de citadin dans Les choses simples. Dans 5 hectares, il incarne un rat des villes arrogant qui se transforme en rat des champs, sous les yeux de son agriculteur de voisin, lequel observe goguenard les efforts désespérés qu’il déploie en vue de cultiver un lopin de terre dérisoire. Émilie Deleuze traite ce sujet dans l’air du temps avec autant d’humour que de subtilité et dépeint une société fracturée où ruraux et citadins se dévisagent sans chercher à se comprendre. D’où la nécessité d’appuyer un peu le trait et d’opposer au toujours élégant Lambert Wilson le paysan aussi ombrageux que rigolard qu’incarne Laurent Poitrenaux. Plus généralement, le film s’attache à l’odyssée absurde de ce Parisien contraint de parcourir une distance absurde à bord d’un tracteur hors d’âge pour se donner les moyens de ses ambitions. Un hommage malicieux au Road Movie minimaliste de David Lynch Une histoire vraie qui n’entend jamais prêter le flanc à une quelconque comparaison. Bien qu’elle s’appuie sur une observation attentive de la société française contemporaine et de ses contradictions, sa réalisatrice aborde ce sujet sérieux en troquant la tentation de la solennité contre un humour plutôt efficace. Il convient de préciser qu’elle a pris soin d’écrire son scénario avec le concours d’une autre réalisatrice, immergée quant à elle depuis longtemps dans la ruralité, la Normande Patricia Mazuy à laquelle elle confie en outre un personnage symbolique de mairesse.
Marina Hands
5 hectares est une comédie résolument à contre-courant qui risque de ne pas être vue par le public auquel elle s’adresse et d’être emportée par les sorties plus glamour des fêtes de fin d’année. Il s’y dit pourtant des choses importantes sur l’état du monde post-Covid et le repli sur soi qu’a accentué cette pandémie. Émilie Deleuze ne se positionne jamais en surplomb de son sujet et ne manifeste guère plus de magnanimité à l’égard du citadin arc-bouté sur son bon droit que campe Lambert Wilson que vis à vis de ses interlocuteurs, qu’il s’agisse de paysans de souche ou de de néo-ruraux. Porté par un bon sens plutôt rassurant, le film échappe à la tentation du manichéisme et préfère rire avec ses protagonistes qu’à leurs dépens. Il adopte le regard du pied-tendre campé par Lambert Wilson qui débarque en terre inconnue bardé de certitudes et doit peu à peu s’adapter aux circonstances pour se faire accepter. Un point de vue qui transparaît à travers le personnage campé par Laurent Poitrenaux, symboliquement filmé de loin au début, puis dont la caméra vient à se rapprocher au fur et à mesure de son humanisation. Comme pour nous signifier que nous l’avions mal jugé faute de le connaître. La réalisatrice témoigne là de l’attention qu’elle accorde à ses personnages en faisant évoluer peu à peu le regard qu’elle porte sur eux. À commencer par le type droit dans ses bottes qu’incarne Lambert Wilson et que son expérience concrète va amener à réviser ses préjugés au contact de la réalité la plus prosaïque qui soit. Un film peut parfois en cacher un autre et c’est en cela que 5 hectares affirme sa singularité parmi un paysage cinématographique souvent trop balisé qui a perdu le sens de la nuance.
Jean-Philippe Guerand
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