Film canado-français de Monia Chokri (2023), avec Magalie Lépine Blondeau, Pierre-Yves Cardinal, Francis-William Rhéaume, Monia Chokri, François Létourneau, Steve Laplante, Lubna Playoust… 1h50. Sortie le 8 novembre 2023.
Magalie Lépine Blondeau
On sait depuis Le déclin de l’empire américain (1986) de Denys Arcand et ses avatars successifs que le cinéma québécois est à l’écoute des nouveaux désordres amoureux. C’est d’une femme que vient aujourd’hui un nouvel état des lieux, l’actrice-réalisatrice Monia Chokri, qui supervise à sa façon une inversion des rôles pour en observer les effets. Une femme mûre y succombe au charme d’un homme plus jeune dont le physique avantageux contraste avec son rang social : le bel étalon est en fait un artisan dont l’éducation et le naturel vont creuser peu à peu un fossé culturel abyssal avec sa maîtresse et susciter les critiques sinon les railleries dévastatrices de son entourage. Monia Chokri aborde là un sujet délicat qui a naguère inspiré un film comme La dentellière de Claude Goretta, en montrant à quel point les préjugés sociaux peuvent exercer des ravages en édifiant des barrières invisibles. En prêtant à une femme une attitude habituellement attribuée aux hommes, sous prétexte qu’il faut que le corps exulte, Monia Chokri souligne par ailleurs que le féminisme n’est pas toujours conciliable avec l’évolution des mœurs en montrant à quel point certains préjugés ont la peau dure. Elle jette pour cela dans les bras d’une prof de philo en couple depuis une décennie un charpentier qui apparaît à tous les sens du terme comme un homme des bois en réveillant sa libido assoupie. Une passion sensuelle et sexuelle qui va toutefois se heurter à des préjugés de classe irrépressibles.
Magalie Lépine Blondeau et Pierre-Yves Cardinal
Simple comme Sylvain propose une alternative radicale aux conventions de la comédie sentimentale en sortant de ce fameux adage selon lequel les amoureux seraient seuls au monde. Une réflexion amorcée par Monia Chokri dès son premier film en tant que réalisatrice, La femme de mon frère. Elle s’y attache au nouveau désordre relationnel qui régit notre époque, à travers l’histoire la plus banale qui soit, sans jamais tricher avec son sujet et en allant jusqu’à faire résonner amour avec humour. Jusqu’au moment où son couple doit s’exposer au regard des autres. Le film prend dès lors une toute autre tournure en soulignant à quel point la société nous formate et nous conditionne par ses préjugés. Ce qui pouvait prêter au rire et à une certaine insouciance revêt dès lors un enjeu ô combien plus sérieux. La réalisatrice déclare elle-même avoir évolué récemment et sacrifié le cynisme de sa jeunesse à une tendresse assumée. Avec en guise de corollaire ce retour fugace à l’adolescence que fait vivre à cette quadra (campée par la magnifique Magalie Lépine Blondeau) son aventure forcément déraisonnable avec un homme plus jeune qu’elle (rôle ingrat tenu par l’impeccable Pierre-Yves Cardinal). Une union contre nature aux yeux d’un monde toujours prompt à juger donc à condamner, là où les jeunes générations entendent jeter le patriarcat, la théorie du genre et même la procréation avec l’eau du bain. En choisissant de placer son film dans un contexte résolument actuel, Monia Chokri dresse un état des lieux particulièrement pertinent d’un monde qu’elle côtoie en le confrontant à des nouveaux comportements parfois déroutants que le cinéma grand public peine encore à prendre en compte et qui ne donnent lieu, au mieux, qu’à des films à thèse le plus souvent confidentiels sinon élitistes. Elle inscrit ainsi les amours ancillaires de Simple comme Sylvain dans leur époque sans pour autant chercher à être à la mode ou opportuniste.
Jean-Philippe Guerand
Commentaires
Enregistrer un commentaire