Film français de Delphine Deloget (2023), avec Virginie Efira, Félix Lefebvre, Arieh Worthalter, Mathieu Demy, India Hair, Alexis Tonetti, Andréa Brusque, Jean-Luc Vincent, Oussama Kheddam, Audrey Mikondo, Caroline Gay, Anne Steffens, Cédric Vieira, Martin Bouligand, Gaëtan Peau… 1h52. Sortie le 22 novembre 2023.
Virginie Efira
Virginie Efira accrédite l’idée reçue que certains comédiens sont omniprésents. Pas parce qu’elle tourne davantage de films que ses consœurs, mais surtout parce qu’elle choisit ses rôles avec goût et leur donne un éclat inimitable. En mai dernier, alors qu’on la découvrait en épouse martyrisée dans L’amour et les forêts, elle présentait simultanément à Cannes Rien à perdre, dans la section officielle Un Certain Regard. Un personnage de mère courage qui se frotte à la rigueur routinière de l’administration lorsqu’elle se voit retirer la garde de son fils victime d’un accident domestique en son absence et placé en foyer. Un mélodrame assumé mais jamais larmoyant dont le charme repose pour une bonne part sur la composition subtile de l’actrice, aussi convaincante en femme du peuple affranchie qu’en bourgeoise coincée. Avec en guise d’arme secrète une capacité d’empathie assez exceptionnelle qui justifie à elle seule l’intérêt particulier que suscite chez les cinéastes cette interprète subtile dont le physique avenant est semblable à un écran blanc sur lequel les cinéastes projettent les fantasmes les plus divers avec cette garantie qu’elle deviendra une autre, tout en restant elle-même, à savoir une femme qui maîtrise à la perfection ce fameux paradoxe du comédien cher à Diderot. Avec cette capacité rare de ne jamais être ni tout à fait la même ni tout à fait une autre et de rester elle-même en incarnant les personnages les plus multiples. Dans Rien à perdre, Virginie Efira confère à son rôle de femme simple une profondeur qui fait toute la différence, mais ne tombe dans aucun des pièges qui lui étaient tendus a priori. Peut-être parce que son parcours d’actrice s’inscrit dans le prolongement logique de sa carrière d’animatrice et que le naturel qu’on lui attribue volontiers n’est pas l’aboutissement d’une stratégie élaborée, mais plutôt l’expression d’une nature profonde à laquelle le public s’identifie immédiatement.
Félix Lefebvre, Alexis Tonetti et Virginie Efira
Ce rôle de mère courageuse qui a gardé un soupçon d’insouciance qui date de sa jeunesse, Virginie Efira n’a pas à forcer son talent pour l’incarner avec autant de justesse que d’économie d’effets. Là où les services sociaux lui reprochent son inconséquence, elle réagit en sortant les griffes, comme une chatte qui protège ses petits. C’est l’éternelle lutte du pot de terre contre le pot de fer et d’une femme mue par ses grands sentiments contre une administration anonyme et dénuées d’états d’âme. Un combat qui peut s’avérer vain et manichéen, mais que la réalisatrice inscrit dans le registre du réalisme social, en évitant les pièges du naturalisme propices au pathos, sans doute parce que son expérience documentaire lui a permis de se placer toujours à la distance la plus juste pour être honnête. Elle préfère ainsi se concentrer sur les relations qui incitent ses protagonistes à se serrer les coudes face à l’absurdité d’une machine à découdre le tissu social. Elle place à cet effet face à Virginie Efira des comédiens particulièrement habités par leurs rôles parmi lesquels Arieh Worthalter, aux antipodes de son rôle-titre du Procès Goldman, le trop rare Mathieu Demy et surtout le toujours surprenant Félix Lefebvre capable de jouer de son visage d’ange pour interpréter des personnages que ses rivaux sont soit trop jeunes soit trop âgés pour pouvoir tenir de façon crédible. Il se révèle une fois de plus impeccable dans ce rôle de fils à maman aux prises avec une famille comme les autres dépeinte avec une justesse dépourvue de complaisance. De quoi miser sur Delphine Deloget comme un sérieux espoir en devenir.
Jean-Philippe Guerand
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