Documentaire suisse de Barbet Schroeder (2023), avec Ricardo Cavallo, Barbet Schroeder… 1h46. Sortie le 15 novembre 2023.
Ricardo Cavallo
Retiré du cinéma depuis Le vénérable W. (2017), un documentaire consacré à un monstre comme il en a traqués plusieurs reprises de Général Idi Amin Dada : Autoportrait (1974) à L’avocat de la terreur (2007), Barbet Schroeder célèbre dans son nouveau film un ami de quarante ans auquel il a déjà consacré son court métrage Exposition Ricardo Cavallo à Kerguéhennec, en 2014. À 82 ans, le fondateur pudique des Films du Losange se met en scène dans une complicité rare avec cet artiste argentin installé au fin fond de la Bretagne qui part s’installer à marée basse ans dans une grotte pour peindre la mer au terme d’un véritable parcours du combattant qui ressemble à une véritable mise en condition pour s’isoler du monde et adopter un point de vue imprenable. Il le montre aussi transmettant sa passion à des enfants dont il apprécie la liberté et avec lesquels il établit une complicité qui ne cède jamais à la tentation de l’académisme. Et puis, malgré sa pudeur naturelle, le colosse à la silhouette voûtée qu’est devenu Barbet Schroeder entre dans le champ pour montrer sa complicité de longue date avec Ricardo Cavallo et nous laisse entrer dans leur jardin secret avec une chaleur rare. Il lui offre en fait le plus beau des cadeaux : un long métrage qui le montre au travail, comme tant d’autres cinéastes ont pu immortaliser des peintres pour la postérité, d’Alain Resnais dans ses fameuses Visite à… (1947) à Henri-Georges Clouzot dans Le mystère Picasso (1956). Au-delà de son propos, le réalisateur choisit aussi de montrer son intimité avec son modèle, notamment lorsqu’ils visitent un musée bras dessus bras dessous. Tout est dit en un plan de leur communion exceptionnelle.
Ricardo et la peinture est un éloge de l’amitié où les gestes et les regards se substituent aux mots. Parce que la complicité de ces deux hommes porte aussi en elle des combats communs : ceux de deux soixante-huitards venus d’ailleurs qui n’ont pas besoin de se parler pour se comprendre et partagent une même retenue. D’où ces plans où le cinéaste est filmé de dos, sans doute à son insu par son opérateur qui saisit ainsi des moments précieux où il n’est pas nécessaire de voir les visages des protagonistes pour ressentir les sentiments qui les animent. Mais si le film joue la carte de l’émotion, tout se joue sur le registre de l’intime. Barbet Schroeder cherche moins à décrire le geste artistique de Ricardo Cavallo qu’à monter au quotidien le peintre s’imprégnant de son environnement immédiat pour inonder sa toile de couleurs dans des formats parfois démesurés. Une démarche artistique que le réalisateur approche d’autant mieux qu’il est familier de son modèle et réussit à saisir le mystère de son geste artistique comme peu de cinéastes avant lui, sinon récemment Wim Wenders dans Anselm (Le bruit du temps), qui a d’ailleurs le même distributeur, ce qui n’est évidemment pas un hasard, mais établit une connivence intellectuelle et artistique intéressante qui crève l’écran. Parce qu’en approchant au plus près ce peintre qu’il connaît mieux que personne, Barbet Schroeder saisit le moindre des gestes infimes qui contribuent au mystère de sa création. Résultat : une immersion fascinante qui n’a pas besoin de 3D pour nous donner à voir avec les yeux de l’artiste en nous transmettant une partie du secret magnifique qui préside à son geste d’artiste. Vertigineux !
Jean-Philippe Guerand
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