Accéder au contenu principal

“Napoléon” de Ridley Scott



Napoleon Film britannique de Ridley Scott (2023), avec Joaquin Phoenix, Vanessa Kirby, Tahar Rahim, Rupert Everett, Ben Miles, Mark Bonnar, Ian McNeice, Catherine Walker, Paul Rhys, Matthew Needham, John Hollingworth, Youssef Kerkour, Scott Handy, Édouard Philiponnat, Sam Crane, Jonathan Barnwell, Benjamin Chivers, Phil Cornwell, Ludivine Sagnier… 2h38. Sortie le 22 novembre 2023.



Joaquin Phoenix



Partagé entre le passé et le futur depuis toujours, Ridley Scott a revisité bon nombre de périodes historiques et signé dès son premier film, Duellistes (1977), l’une des plus justes évocations de l’ère napoléonienne à travers l’affrontement de deux bretteurs inspiré d’une nouvelle de Joseph Conrad. Il y avait donc une certaine logique à ce qu’il s’attaque un jour à la figure tutélaire de cette époque. D’Abel Gance à Sacha Guitry, en passant par Raoul Walsh, King Vidor, Sergueï Bondartchouk, Terry Gilliam, Youssef Chahine et Antoine de Caunes, Napoléon Bonaparte a inspiré des cinéastes de tous les pays avec des réussites diverses et un respect à géométrie variable de la vérité historique qui n’est de toute évidence en aucun cas un frein pour Ridley Scott, ne serait-ce que parce qu’il a choisi de tourner cette reconstitution historique en langue anglaise, ce qui a déjà de quoi choquer les puristes et… les Français. Contrairement à beaucoup de ses prédécesseurs qui ont choisi de se concentrer sur tel ou tel pan de la vie de ce conquérant, le cinéaste britannique en aborde les multiples épisodes depuis la Révolution Française, durant laquelle il assiste à la décapitation de Marie Antoinette, à ses exils successifs sur l’île d’Elbe et à Sainte-Hélène. Le scénario habile de David Scarpa (qui avait déjà contribué pour Scott à Tout l’argent du monde en 2017) égrène donc des moments historiques pour la plupart très connus, tout en choisissant pour centre de gravité la passion irrationnelle de Napoléon pour Joséphine (une Vanessa Kirby vénéneuse à souhait) qui semble sous-tendre jusqu’à sa stratégie de conquête territoriale. Au point de revenir précipitamment d’Égypte pour mettre un terme à son infidélité ou de se soumettre à l’influence de sa mère corse qui le jette dans les bras d’une autre afin de démontrer que c’est son épouse qui est stérile et non lui, au moment où la naissance d’un héritier devient une véritable affaire d’État.



Joaquin Phoenix



Certes, ce Napoléon mené à un train d’enfer procède à des raccourcis saisissants de nature à heurter les historiens purs et durs, mais il assure l’essentiel en n’éludant aucun morceau d’anthologie, du couronnement qui ne dure que quelques minutes aux grandes batailles à travers lesquelles le metteur en scène de Gladiator démontre sa virtuosité bien connue en la matière, en illustrant l’art de la guerre avec une clarté exemplaire, de la campagne de Russie, en basculant du soleil d’Austerlitz au crépuscule de Waterloo. Le film est par ailleurs indissociable de son interprète principal, Joaquin Phœnix, qui endosse le rôle de 20 à 52 ans. Sa crédibilité doit moins au maquillage et aux effets numériques qu’à la pure performance de l’acteur dont le visage fermé exprime mieux la flamme intérieure qui ronge autant le chef de guerre que l’amoureux, sans cette propension à l’outrance dans laquelle ont pu se complaire d’autres cinéastes par le passé. Ridley Scott livre une fresque qui tient ses promesses et trouve le juste équilibre entre scènes intimistes et morceaux de bravoure, sans s’encombrer de trop de personnages anecdotiques. Sans doute les historiens trouveront-ils matière à rechigner contre certaines images d’Épinal, mais le film est porté par un souffle que le cinéma contemporain ne met plus guère au service que des histoires de super-héros, sous prétexte de satisfaire les aspirations supposées du public. Napoléon pourrait bien remettre en cause ces certitudes en proposant une alternative crédible à ce qui est en passe de devenir une sorte de pensée unique à Hollywood, au moment précis où la contre-performance spectaculaire de The Marvels au box-office résonne comme un avertissement. Mais ce n’est pas aux vieux singes qu’on apprend à faire des grimaces et l’ironie veut que ce soit le vétéran Ridley Scott qui réussisse à 85 ans ce pari présumé impossible.

Jean-Philippe Guerand







Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract