Documentaire français de Mona Achache (2023), avec Marion Cotillard, Marie Bunel, Marie-Christine Adam, Pierre Aussedat, Jacques Boudet, Didier Flamand, Mona Achache, Carole Achache, Monique Lange, Jean Genet… 1h35. Sortie le 15 novembre 2023.
Marion Cotillard
Le documentaire est devenu en quelques années un terrain privilégié d’expérimentation en ébullition permanente qui se permet toutes les audaces. Rithy Panh a démontré dans L’image manquante (2013) que tout est possible, y compris de combler certaines lacunes obsédantes dont l’existence était partie prenante d’un crime de masse organisé, que ses responsables soient des Khmers rouges ou des Nazis. Un message qui n’est pas resté lettre morte, tant de cinéastes l’ayant suivi dans cette voie pour explorer des zones d’ombre, quitte à créer ce qui n’existait pas ou plus. Telle est la démarche de Mona Achache, réalisatrice surtout connue jusqu’à présent pour des comédies comme Le hérisson (2009), Les gazelles (2014) et des contributions à des séries à succès aussi ludiques que Batlhazar ou HPI. Little Girl Blue lui a été inspiré par le suicide de sa mère et l’héritage empoisonné qu’elle lui a laissé : des caisses bourrées de souvenirs parmi lesquels elle a trouvé un magnétophone et des cassettes dans lesquelles elle racontait son lent calvaire, sa propre mère, Monique Lange, l’ayant littéralement jetée enfant dans les bras de Jean Genet par pure adulation envers ce dramaturge controversé. Ce geste sacrificiel tabou et douloureux qui a durablement marqué les femmes de sa famille dans une conjuration du silence étouffante, Mona Achache a décidé de le transformer en cinéma. Elle a demandé pour cela à une actrice, Marion Cotillard, de mettre son visage et ses gestes sur la voix de Carole Achache dans un processus de vampirisation dont elle va jusqu’à filmer la mise en place.
Marion Cotillard
Little Girl Blue s’inscrit dans la lignée d’une série de devoirs de mémoire documentaires comme Carré 35 (2017) d’Éric Caravaca, Et j’aime à la fureur (2021) d’André Bonzel ou le récent Les filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania qui constituent autant de variantes autour d’un jeu de la vérité intime. Sur le plan thématique, le film renvoie en outre par sa thématique à deux phénomènes littéraires récents : Le consentement de Vanessa Springora (Grasset, 2020) et La Familia grande de Camille Kouchner (Le Seuil, 2021). La réalisatrice y met le cinéma au service d’un propos qui ressemble à un exutoire par procuration et dans lequel elle s’implique au point de se mettre en scène comme un Petit Poucet ramassant un à un ses petits cailloux blancs pour aller débusquer l’ogre Genet dans son antre. Une démarche d’un courage exemplaire qui se traduit à l’écran par une inventivité fertile, mais évite les pièges tentateurs de la complaisance ou du voyeurisme. Parce que comme Vanessa Springora, Mona Achache assume aussi le point de vue des féministes de l’ère #MeToo sur l’époque qui la précédée et engendrée, derrière ce statut d’intellectuel intouchable dont usé et abusé Matzneff comme Genet, quitte à semer le désordre et la destruction. Au-delà de son propos individuel et de son sillage ravageur, Little Girl Blue propose aussi une démarche psychanalytique qui esquisse huit décennies d’évolution des mœurs de la société française dont les dégâts collatéraux s’avèrent ravageurs. Voici une expérience de cinéma aussi douloureuse que nécessaire qui répond aussi à bien des questionnements de notre époque.
Jean-Philippe Guerand
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