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“Les filles vont bien” d’Itsaso Arana



Las chicas están bien Film espagnol d’Itsaso Arana (2022), avec Bárbara Lennie, Irene Escolar, Helena Ezquerro, Itziar Manero, Itsaso Arana, Gonzalo Herrero, Mercedes Unzeta, Julia León… 1h26. Sortie le 29 novembre 2023.



Bárbara Lennie, Irene Escolar, Itsaso Arana
Helena Ezquerro et Itziar Manero



Quelques jeunes femmes se retrouvent dans une maison à la campagne afin d’y répéter un spectacle. L’occasion pour elle de se retrouver et de se confier… Ce sujet n’a rien de bien nouveau. Il a même inspiré pas mal de films sous l’effet du confinement en permettant à des comédiens de se s’isoler pour mieux se retrouver en échappant aux contraintes sanitaires et continuer à exercer leur métier en toute impunité, en minimisant les risques de contamination. Une aubaine dont s’empare la comédienne Itsaso Arana, connue pour le rôle-titre que lui a confié Jonás Trueba dans Eva en août (2019) qu’elle par ailleurs coécrit. Un dispositif idéal pour un premier film placé sous le signe de la sororité épanouie qui s’appuie à la fois sur les mots qu’échangent les protagonistes de ce gynécée dans le cadre du spectacle qu’elles répètent et de ceux qui expriment leurs états d’âme. Une foi dans le langage qui contraste avec son cadre bucolique écrasé de soleil en permettant à ces actrices d’établir un lien solide entre les personnages de théâtre qu’elles incarnent et leurs préoccupations les plus intimes. Ces allées et venues incessantes entre la réalité et la fiction sont nourries d’une troisième dimension qui naît de la complicité entre la réalisatrice et ses partenaires à l’écran : la fine fleur des actrices espagnoles en devenir. Aux côtés de Bárbara Lennie, qui fait office de glorieuse aînée alors qu’elle n’est pas encore quadra, Irene Escolar, Helena Ezquerro, Itziar Manero et Itsaso Arana elle-même donnent un sacré coup de jeune à un sujet qui renvoie aux origines mêmes de la tragédie antique par sa façon de mêler la réalité et la fiction, tout en adoptant un recul étudié.



Bárbara Lennie et Irene Escolar



En veillant à attribuer à ses personnages les véritables prénoms de leurs interprètes, Itsaso Arana a choisi d’ancrer cette comédie de mœurs dans une réalité assumée, quitte à donner parfois l’impression d’une improvisation raisonnée qui contraste avec une mise en scène au cordeau. Les seuls signes extérieurs de spontanéité qui émaillent le film sont ceux qui paraissent émaner de ses interprètes, parce qu’ils servent son propos en miroir, entre la pièce qu’elles répètent et leurs destinées individuelles. Toute l’habileté de ces faux-semblants consiste à confronter les interprètes du film avec ceux de la pièce, mais aussi avec leurs personnages dans une tentative de mise en abyme aussi vertigineuse que réussie où l’on passe incessamment d’un niveau à un autre avec une fluidité jamais artificielle. Des contraintes dont l’actrice-réalisatrice fait ses atouts principaux en ajoutant encore une quatrième dimension à son film tourné dans des conditions assez proches, afin de tirer le meilleur parti d’une démarche qui échappe aux conventions du cinéma traditionnel et renoue avec les origines même du théâtre en transformant une grange en scène ouverte où auraient pu jouer le Capitaine Fracasse et sa troupe. C’est toute la puissance de ce film qui pratique la confusion des genres pour créer une ode à la liberté au féminin où tout sonne juste parce que rien n’y est fabriqué artificiellement. Avec un plaisir communicatif qui est celui de ses interprètes réunies pour un rituel dont on ne découvre l’origine qu’à la fin, ajoutant encore une dimension supplémentaire à ce jeu de rôles tchékhovien aussi subtil qu’enthousiasmant.

Jean-Philippe Guerand








Irene Escolar et Helena Ezquerro

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