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“La vénus d’argent” d’Héléna Klotz



Film français d’Héléna Klotz (2023), avec Claire Pommet, Niels Schneider, Sofiane Zermani, Anna Mouglalis, Grégoire Colin, Irina Lellouche Klotz, Gabriel Merz Chammah, Mathieu Amalric… 1h35. Sortie le 22 novembre 2023.



Claire Pommet



Une jeune femme issue d’une caserne de gendarmerie tente de se faire une place au soleil de la finance. Un monde de carnassiers indifférent à la parité où l’homme est plus qu’ailleurs un loup pour l’homme, tant sa qualité individuelle se mesure à sa capacité à décrypter des lignes de chiffres et à élucider le mystère des algorithmes les plus ténébreux. Révélée par un premier long métrage bourré de charme, L’âge atomique (2012), Héléna Klotz aborde ici l’éternel problème de la fatalité sociale qui inspira bon nombre d’intellectuels au XIXe siècle. Elle déplace en outre le curseur en soulignant à quel point certains métiers restent genrés. C’est en effet à une sorte de double peine que semble condamnée Jeanne, garçon manqué à la mine boudeuse qui tente d’échapper à son milieu en brouillant les pistes et en s’habillant en mec afin de partir à la conquête des hautes sphères de la finance pour laquelle elle manifeste des prédispositions évidentes sinon le goût du sang qui caractérise ces esclaves en costume trois-pièces du grand capital. La plus belle idée de la réalisatrice a été de confier ce rôle à une interprète qui joue de son androgynie pour jouer les passagères clandestines de ce monde factice : Claire Pommet, plus connue sous son nom de chanteuse engagée, Pomme. Elle réunit tous les paradoxes de notre époque : besoin de s’imposer et de se dissimuler, d’échapper à sa condition en floutant son genre, d’intégrer un cercle très fermé tout en entretenant un lien ombilical avec sa famille et ses proches. Quitte à partir discrètement pour revenir en douce, sans que son absence ait eu le temps d’alerter son entourage. Un discours qu’on retrouve peu ou prou dans deux autres portraits de jeunes femmes sortis récemment : La voie royale de Frédéric Mermoud et Le théorème de Marguerite d’Anna Novion qui traitaient toutefois davantage du conditionnement des élites.



Sofiane Zermani et Claire Pommet



Il y a à la fois de Balzac et de Zola chez cette arriviste aux dents trop courtes qui se réfugie derrière des formules mathématiques dont l’abstraction confine à la poésie. Elle a beau rouler à moto la nuit comme un ange surgi de chez Cocteau et dissimuler sa poitrine derrière des bandelettes de momie, cette vénus d’argent qui s’identifie au bouchon de radiateur emblématique de Rolls Royce appartient à son époque par sa volonté contradictoire de se fondre dans la foule tout en trouvant sa juste place dans le monde, même si ce n’est pas celle que la société lui destine. Face à elle défile une longue cohorte d’hommes prisonniers de leur condition qui n’ont rien su faire de leur liberté présumée : son père gendarme qui a du mal à entretenir sa famille (éblouissant Grégoire Colin en colosse brisé), un petit ami appelé à suivre la même voie donc à lui proposer le même No Future (Niels Schneider à qui Héléna Klotz avait été l’une des premières à confier un rôle digne de ce nom dans son premier film). Avec aussi ces serviteurs zélés de la finance que campent Sofiane Zermani, plus connu sous le nom de Fianso en tant que rappeur, et Mathieu Amalric. Et puis, en bonus, cette femme forcément fatale que campe Anna Mouglalis dont la voix rauque traduit comme jamais le fait qu’elle a intégré le monde impitoyable des mâles par sa détermination et son absence de scrupules et de préjugés. Elle est décrite comme une version féminine de Charon,  batelière en robe de soirée chargée de faire traverser une sorte de Styx sociétal aux transfuges potentiels, parce qu’elle-même a naguère conjuré cette malédiction en passant d’un monde à l’autre. C’est toute la subtilité de cette étude psychologique d’observer ainsi notre société, sans se cantonner à l’un de ses microcosmes nécessairement réducteurs, même si c’est pour mieux en pointer les fractures et les clivages aussi invisibles qu’infranchissables.

Jean-Philippe Guerand






Niels Schneider et Claire Pommet

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