Film franco-italo-canado-belge de Laetitia Colombani (2023), avec Kim Raver, Fotini Peluso, Mia Maelzer, Sajda Pathan, Avi Nash, Manuela Ventura, Sarah Abbott, Francesco Marinelli, Adrian Doroslovac, Dorian Doroslavoc… 1h59. Sortie le 29 novembre 2023.
Curieuse trajectoire que celle de Laetitia Colombani qui a réalisé deux longs métrages, À la folie... pas du tout (2002) et Mes stars et moi (2008), avant de remporter un succès considérable avec son premier livre, La tresse (Grasset, 2017), qui s’attache à trois femmes dont les destins vont finir par se conjuguer symboliquement : une Indienne de la caste des intouchables qui se bat pour que sa fille étudie et échappe à sa condition maudite, l’héritière d’un perruquier sicilien confrontée à ses responsabilités et une avocate canadienne qui a tout sacrifié à sa carrière et à son ambition. Une aventure qui trouve aujourd’hui son aboutissement dans l’adaptation cinématographique qu’en signe elle-même la romancière et qui tisse ces trois destins, à l’image de cette tresse hautement symbolique. Ce récit est arrivé à point nommé pour valider les avancées revendiquées par le mouvement #MeToo et a trouvé un écho hors du commun (cinq millions de lecteurs !) sur lequel le film va tout miser. Par ailleurs, le cinéma est trop avare en grands sentiments pour ne pas apprécier cette vision de la condition féminine dans trois sociétés qui en réfléchissent en quelque sorte les différents stades. Forte de son expérience antérieure de réalisatrice, la romancière a conçu son troisième long métrage en gardant à l’esprit le fait qu’elle avait un devoir vis-à-vis de ses lecteurs, à commencer par celui de ne pas les trahir. Elle remplit la première partie de ce contrat tacite en choisissant trois interprètes féminines charismatiques mais inconnues qui ont la redoutable responsabilité de personnifier des créatures de papier et remplissent cette mission en beauté, à tous les sens du terme.
La construction même de La tresse s’articule au fil de trois récits entrecroisés qui ne prennent leur sens véritable qu’à la fin, au moment où l’histoire trouve enfin sa justification et que le dernier morceau du puzzle posé donne toute son ampleur à ce travail d’orfèvre en justifiant tout ce qui a précédé et en inscrivant ces itinéraires individuels au sein d’une réflexion autrement plus vaste. Laetitia Colombani choisit à dessein trois interprètes inconnues mais charismatiques qui servent à merveille son propos en proposant une approche très humaine du statut des femmes à travers leur rapport parfois archaïque à des éléments aussi fondamentaux que l’éducation, le travail, la santé et la famille. Au fil de ces destinées a priori étrangères les unes aux autres, le scénario met en évidence des problématiques récurrentes en les inscrivant dans le quotidien le plus prosaïque qui soit, face au machisme, au patriarcat et à la misogynie les plus institutionnalisés qui se perpétuent depuis la nuit des temps, malgré une évolution somme toute assez illusoire dans ce domaine. Seul bémol : la musique envahissante sinon invasive de Ludovico Einaudi qui a une fâcheuse tendance à submerger ces images fortes, quitte à noyer un propos fort et nécessaire qui n’avait besoin d’aucun artifice. À trop chercher à plaire et à séduire, ce film populaire prend ainsi le risque de contredire un parti pris de mise en scène qui joue paradoxalement sur une retenue beaucoup plus éloquente. C’est bien dommage !
Jean-Philippe Guerand
Commentaires
Enregistrer un commentaire