Film français de Trân Anh Hùng (2023), avec Benoît Magimel, Juliette Binoche, Emmanuel Salinger, Patrick d’Assumçao, Galatea Bellugi, Jan Hammenecker, Frédéric Fisbach, Bonnie Chagneau-Ravoire, Yannick Landrein, Sarah Adler, Jean-Marc Roulot, Pierre Gagnaire… 2h14. Sortie le 8 novembre 2023.
Benoît Magimel
Rien de plus périlleux que de filmer la bonne chère et cette alchimie qui préside à la grande cuisine. Beaucoup s’y sont essayés, bien peu y sont parvenus de façon satisfaisante. Ce fin gourmet de Claude Chabrol avait ainsi coutume de dire que malgré son succès commercial planétaire, Le festin de Babette de Gabriel Axel (dans lequel jouait son ex-compagne Stéphane Audran) était l’œuvre d’un homme qui ne connaissait rien à la gastronomie, en argumentant que les cailles en sarcophage telles qu’il les filmait ne pouvaient être à la fois que pas assez cuites et… brûlées. La passion de Dodin Bouffant rompt heureusement avec cette malédiction grâce à la collaboration d’un réalisateur dont le cinéma exalte l’empire des sens depuis L’odeur de la papaye verte (1993), Trân Anh Hùng, et un grand chef, Pierre Gagnaire, qui a su adapter son art culinaire aux contraintes du grand écran pour sublimer sa représentation à l’écran et offrir au spectateur fumets et transformations de la matière comme autant de tours de magie. Ce film-là est de ceux qui proposent une quatrième dimension en suggérant les goûts et les odeurs comme jamais à l’aide de l’image et du son, les fondamentaux du septième art. Dans la France de 1885, Dodin est un gastronome qui aime à recevoir ses amis autour de repas fins préparés par celle qu’il a formée et qui règne sur ses fourneaux depuis une vingtaine d’années. Un véritable rituel qui répond à des règles strictes et donne lieu à des repas qui comblent d’émerveillement les convives traités comme des rois. Au point que la réputation de cette table a débordé de ce petit cercle d’intimes pour attirer les plus fins gastronomes venus parfois de très loin pour avoir le privilège de goûter à ces mets d’exception.
Juliette Binoche et Benoît Magimel
Couronné d’un prix de la mise en scène au Festival de Cannes très justifié et sélectionné pour représenter la France dans la course à l’Oscar du meilleur film international, La passion de Dodin Bouffant est bien davantage qu’un éloge de la gastronomie : un véritable ravissement sensoriel. La célébration d’une tradition qui va de pair avec un cérémonial particulièrement photogénique et constitue déjà en soi une pure invitation au plaisir. Le film est toutefois bien plus que cela : une histoire d’amour platonique entre le gastronome et sa cuisinière qui passe par un plaisir partagé, avec en filigrane l’idée de la transmission de ce trésor immatériel qui suppose pour survivre à son époque de passer par l’initiation d’une disciple, en l’occurrence ici une jeune fille de paysans. Trân Anh Hùng a par ailleurs choisi pour interpréter le couple au cœur de cette histoire Juliette Binoche et Benoît Magimel dont il exploite à merveille une complicité qui n’a vraiment rien d’artificiel. Pour avoir vécu ensemble à l’époque des Enfants du siècle (1999) de Diane Kurys dans lequel ils incarnaient respectivement George Sand et Alfred de Musset, les deux acteurs imposent avec évidence la complicité de leurs personnages qui passe davantage par l’harmonie de leurs gestes et les regards qu’ils échangent que par les mots que la pudeur les empêche de prononcer. La mise en scène excelle dans cet art difficile qui consiste à décrire cette passion silencieuse que l’absence ne contribuera qu’à exacerber. On peut être indifférent au spectacle de la nourriture, mais c’est la chronique de cet amour indicible qui confère à ce film son caractère universel par la délicatesse infinie avec laquelle son metteur en scène réussit à s’aventurer au-delà des apparences pour signer un hymne à l’amour qui rejoint dans la mythologie cinématographique la pudeur de Sur la route de Madison (1995) de Clint Eastwood.
Jean-Philippe Guerand
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