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“Goodbye Julia” de Mohamed Kordofani



Film soudano-suédois de Mohamed Kordofani (2023), avec Siran Riak, Eiman Yousif, Nazar Gomaa, Ger Duany, Paulino Victor Bol, Louis Daniel Ding, Stephanos James Peter… 2h. Sortie le 8 novembre 2023.



Eiman Yousif et Siran Riak



Rares sont les territoires encore vierges de toute cinématographie. C’était le cas du Soudan jusqu’au premier long métrage de Mohamed Kordofani, couronné cette année fort légitimement du Prix de la liberté au Festival de Cannes. Le film rend pour cadre la fracture endémique qui déchire ce territoire depuis des années. Comme une guerre sans fin ponctuée çà et là de quelques précaires havres de paix. À l’origine de ce conflit, le racisme institutionnalisé par les Arabes du Nord à l’encontre des populations du Sud victimes d’un véritable apartheid qui les a incités à faire sécession contre leurs compatriotes devenus leurs oppresseurs. À la suite d’une banale altercation qui a dégénéré, une riche musulmane engage à son service une jeune veuve de confession chrétienne avec qui elle noue une complicité qui dépasse leurs simples rapports hiérarchiques. Jusqu’au moment où le vernis craque et où affleure une vérité qui dérange en conduisant la situation géopolitique à s’inviter au sein de cette amitié trop merveilleuse pour ne pas être conditionnée par des motivations moins recommandables qu’il ne pourrait y paraître de prime abord. Comme beaucoup d’œuvres universelles, Goodbye Julia s’appuie sur un fait divers presque anodin pour passer ses conséquences au crible d’enjeux beaucoup plus vastes, en usant de la synecdoque comme d’une figure de style particulièrement éloquente, dans un contexte dont le spectateur lambda ignore pour l’essentiel les enjeux fondamentaux sinon vitaux. Parce que le conflit qui agite le Soudan depuis des années n’a jamais fait vraiment la une de l’actualité et reste passablement indéchiffrable, faute d’une médiatisation suffisante.



Siran Riak



Au-delà de son propos, Goodbye Julia décrit l’amitié de deux femmes venues d’horizons différents qui sont liées par une tragédie secrète. L’une est la patronne de l’autre vis-à-vis de laquelle elle éprouve un irrépressible sentiment de culpabilité qui tranche avec l’antagonisme fracturant une société soudanaise encore féodale. L’habileté du scénario imaginé par Mohamed Kordofani consiste à s’attacher davantage à ce qui rapproche ces deux femmes qu’à ce qui les sépare dans un esprit de réconciliation idéaliste. À ce détail près que le contexte va se charger de faire voler en éclats cette amitié illusoire. Il souffle sur ce récit l’esprit de certaines tragédies antiques par le poids qu’exerce sur les protagonistes l’irrévocabilité du fameux Fatum. La puissance de ce film réside dans l’habileté avec laquelle il s’appuie sur ce qui n’apparaît que comme un fait divers presque banal dans un contexte inégalitaire pour décrire une société fracturée par des dissensions si anciennes que plus personne ne cherche à les remettre en question. Avec en prime la confrontation de deux actrices à l’éclat et au talent miraculeux : l’actrice et chanteuse Eiman Yousif et le mannequin de renommée internationale Siran Riak. Le propos de ce film passe en outre par une facture résolument à contre-courant du cinéma d’auteur traditionnel, en visant délibérément le public le plus vaste et le plus populaire possible par le biais d’un registre narratif qui puise autant à Bollywood qu’à Hollywood, dans le souci d’assurer à son message humaniste l’audience la plus large, aussi bien à l’international que dans ce Soudan déchiré et exsangue qui ne fait que très rarement la une de l’actualité.

Jean-Philippe Guerand








Siran Riak

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