Film américain de Craig Gillespie (2023), avec Paul Dano, Pete Davidson, Vincent d’Onofrio, America Ferrera, Nick Offerman, Anthony Ramos, Sebastian Stan, Shailene Woodley, Seth Rogen, Talia Ryder, Myha’la Herrold, Kate Burton, Clancy Brown, Dane DeHaan, Rushi Kota… 1h45. Sortie le 29 novembre 2023.
Paul Dano
Signe des temps, depuis quelques années a vu le jour un nouveau genre cinématographique qui s’apparente au techno-thriller. Son principe consiste à s’inspirer d’événements généralement authentiques pour relater d’obscures transactions financières et informatiques dont les dégâts se sont avérés dévastateurs dans la vie réelle. Aux fameux Wall Street (1987) et Wall Street : l’argent ne dort jamais (2010) d’Oliver Stone ont succédé Le loup de Wall Street (2013) de Martin Scorsese et The Big Short : Le casse du siècle (2015) d’Adam McKay qui reflètent assez justement le miroir aux alouettes que constitue l’univers impitoyable des spéculateurs modernes dans un salubre effort de vulgarisation ponctué d’intermèdes sexy ou ludiques surtout destinés à distraire de l’austérité ambiante. Rien de tel, en effet, que de cadrer des écrans d’ordinateur au cinéma pour rebuter le spectateur non initié aux mystères de la finance. Dumb Money s’attache au contraire à des boursicoteurs amateurs qui jettent leur dévolu sur leur revendeur de jeux vidéo préféré, au point de lui valoir un engouement aussi exponentiel qu’irrationnel au moment même où celui-ci s’apprêtait à mettre la clé sous la porte. Avec en prime un pactole inespéré pour ses inconditionnels dans un mimétisme absurde des mécanismes boursiers les plus sophistiqués. La principale qualité de Dumb Money est d’établir un lien direct entre une réalité prosaïque et des spéculations fondés sur des algorithmes abscons, ce qu’avaient notamment tenté en France avec une certaine réussite Christian de Chalonge dans L’argent des autres (1978) et Cédric Klapisch dans Ma part du gâteau (2011), en humanisant ce monde à part.
Seth Rogen et Nick Offerman
Les moutons de panurge que décrit cette comédie inspirée de faits authentiques sont des ploucs et des geeks de l’Amérique profonde dépassés par le mouvement qu’ils ont initié. De sympathiques amateurs que vont prendre en grippe des tout puissants fonds d’investissement pour punir ces pieds-tendres d’avoir voulu jouer dans la cour des grands. L’affaire GameStop a été relatée dans un livre par Ben Mezrich dont un précédent ouvrage avait déjà inspiré The Social Network à David Fincher. C’est dire combien cet expert est passé maître dans l’art de relater les morceaux de bravoure les plus abstraits de la Tech. Du talent, il en a aussi fallu une bonne dose au réalisateur australien Craig Gillespie pour trouver comment traduire en images et en sons ce qui ressemblait surtout à l’origine à des suites cabalistiques de chiffres et de lettres. Avec en prime une sorte de revanche des moins que rien sur l’Establishment qui aurait fait le bonheur du Frank Capra de L’extravagant Mr. Deeds (1936) par son apologie du bon sens. Paul Dano s’y livre à une composition savoureuse, vissé derrière son ordinateur en faux candide devenu le Robin des Bois de sa génération. L’habileté du film consiste à adopter le parti de rire de la situation qu’il décrit et de ne jamais chercher à nous faire comprendre les tenants et les aboutissants de cette ténébreuse affaire qui entraîne ses protagonistes beaucoup plus loin qu’ils n’auraient pu l’imaginer. C’est aussi ça, le rêve américain : une mine d’or inépuisable pour les scénaristes.
Jean-Philippe Guerand
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