Film franco-britannique de Ken Loach (2023), avec Dave Turner, Ebla Mari, Claire Rodgerson, Trevor Fox, Chris McGlade, Col Tait, Jordan Louis, Chrissie Robinson, Chris Gotts, Debbie Honeywood, Andy Dawson, Reuben Bainbridge, Laura Lee Daly, Joe Armstrong, Andrea Johnson, Maxie Peters… 1h53. Sortie le 25 octobre 2023.
Dave Turner
Il y a deux façons d’aborder le cinéma de Ken Loach. La première consiste à la considérer comme un doux rêveur qui milite sans relâche pour un monde meilleur, tout en dénonçant les injustices flagrantes qui sapent peu à peu les fondations du monde occidental en le poussant à se replier sur lui-même dans un réflexe identitaire suicidaire. La seconde implique de prendre davantage de recul et d’envisager chacun de ses films comme constitutif d’un ensemble plus vaste qui trouve sa source dans ses premiers opus télévisuels, il y a soixante ans. Au point qu’on peut aujourd’hui décrypter les sursauts du monde à travers ses films et un engagement sans relâche qui font de ce cinéaste un citoyen universel dont la sincérité est parfois raillée par certains cyniques. Force est de constater qu’il n’a jamais dévié de sa ligne et qu’il sort aujourd’hui de sa retraite pour ajouter un chapitre à son œuvre, mû par la nécessité de pallier au silence de ses confrères et à la léthargie du cinéma britannique post-Brexit. Sous les dehors d’une comédie de mœurs chaleureuse, The Old Oak s’attache à un village du Nord-Est de l’Angleterre que la fermeture des mines a condamné à la misère et au chômage où débarquent des réfugiés syriens immédiatement perçus comme menaçants, là où leur dynamisme et leur enthousiasme sont d’autant plus de nature à revivifier cette communauté résignée qu’ils sont pour la plupart jeunes et issus de la classe supérieure. L’intelligence du scénario de Paul Laverty consiste à tordre le cou à toutes les idées reçues en passant en revue toues les hypothèses liées à son postulat. Comme pour mieux souligner que le manichéisme n’est pas une fatalité, mais le fruit d’une schématisation inhérente à certaines conventions cinématographiques en vigueur.
Ebla Mari
The Old Oak est tout simplement un éloge du vivre ensemble qui entend démontrer que face à l’adversité, il est plus sage de s’unir que de se diviser et de faire ainsi le jeu de cette force d’oppression que représente le système économique par sa déshumanisation impitoyable. La subtilité du propos consiste à dépeindre les conséquences de la misère sur la propagation du populisme et de son cortège de misère. De prime abord, Ken Loach dépeint le réflexe de survie d’une population qui noie sa détresse dans les pintes de bière et ne pense même plus qu’un monde meilleur soit possible. Une résignation bousculée par ces migrants en provenance de l’enfer qui veulent encore croire à l’éventualité d’un monde meilleur et se heurtent ainsi à cette population déclassée avant de monter une cantine à l’usage des plus démunis. Le constat est amer : il y a toujours plus pauvre que soi. Conséquence humaine tragique d’une déchéance dont Loach a chroniqué les étapes successives au fil d’un cinéma de combat traversé par une humanité malmenée qui garde toutefois toujours la tête haute, sans céder aux bas instincts que cherchent à flatter les marchands de rêve xénophobes. C’est même le miracle de son cinéma de combat de ne jamais baisser la garde et d’entretenir une lueur d’espoir, aussi ténue soit-elle. Parce que, contre vents et marées, il s’obstine à exalter ce qu’il y a de meilleur chez l’homme, quitte à être taxé injustement d’angélisme par ceux qui lui dénient le droit d’exalter le Bien contre le Mal. À l’image de ce rassemblement final qui rassemble des gens de bonne volonté unis contre ce qui n’est en aucun cas une fatalité, mais le fruit d’un jeu de massacre économique. À 87 ans, Loach refuse de baisser les bras et croit encore au Grand Soir avec un enthousiasme communicatif. Suivons-le !
Jean-Philippe Guerand
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